Aux Etats-Unis, il n’est pas rare que les chèques de retraite soient saisis à la source, ou que des octogénaires soient harcelés par les créanciers pour des prêts étudiants souscrits voilà plusieurs dizaines d’années. Selon la Réserve fédérale de New York, les Américains de plus de 60 ans sont encore endettés à hauteur de 36 milliards de dollars [27,4 milliards d’euros] au titre de prêts étudiants. Et plus de 10 % de ces créances sont en souffrance.

Le fait que des seniors ploient encore sous le fardeau de leur prêt étudiant met en lumière ce qu’un nombre croissant de juristes, d’économistes et d’experts financiers considèrent comme une grave défaillance de l’enseignement supérieur aux Etats-Unis : les avantages tant vantés du diplôme universitaire sont de plus en plus contrebalancés par l’augmentation des frais de scolarité et la durée des prêts. Des Américains continuent d’être étouffés par leurs premiers prêts étudiants, d’autres sont handicapés par des crédits souscrits pour reprendre des études en cours de carrière. D’autres encore, très nombreux, ont accepté d’être coemprunteurs pour les prêts de leurs enfants et de leurs petits-enfants afin de les aider à faire face à la flambée des frais de scolarité. La récession est venue aggraver le problème, en rendant les emplois bien payés difficiles à décrocher pour les Américains d’un certain âge – comme pour les jeunes dont ils financent les études. Contrairement à d’autres dettes, les prêts étudiants ne sont pas soldés par la faillite personnelle.

Pour bien des seniors, loin de donner accès à une brillante carrière, le diplôme universitaire aura débouché sur une existence marquée par le poids de la dette. Sandy Barnett, 58 ans, pense faire le bon choix en décidant, à la fin des années 1980, de suivre un master en psychologie clinique.
Pour ces études de troisième cycle, elle emprunte 21 000 dollars [16 000 euros]. Pourtant, après avoir décroché son master, elle peine à trouver un emploi rémunéré au-dessus de 25 000 dollars [19 000 euros] par an ; rapidement, elle ne parvient plus à payer ses traites. Elle subit aussi un licenciement et une période de chômage, puis elle perd son mari. Pendant ce temps, sa dette s’envole, atteignant aujourd’hui 54 000 dollars [41 200 euros].

En 2005, Sandy Barnett se déclare en faillite personnelle, ce qui ne lui permet pas pour autant d’en finir avec son prêt étudiant. Il y a un an, raconte-t-elle, une agence de recouvrement s’est mise à prélever directement le salaire qu’elle touche comme employée à plein-temps d’un service clientèle. A présent, son budget est si serré qu’elle doit choisir entre mettre de l’essence dans sa voiture ou manger. Installer un climatiseur dans son mobile-home fait figure de luxe inaccessible. “Je travaille pour rien, résume Sandy Barnett. Je suis dans un trou noir, sans la moindre perspective.”

Avec la récession, les licenciements se multiplient et de plus en plus d’Américains se retrouvent à la fois sans emploi et lourdement endettés. Le ministre des Finances, Timothy Geithner, a récemment rappelé que le coût des études supérieures devrait être proportionnel à la qualité de l’enseignement dispensé. Or bien des étudiants “n’atteignent pas le niveau de rémunération qui justifierait la dépense”. Depuis dix ans, le prix des études supérieures de premier cycle a progressé de 2 à 6 % par an selon les établissements, assure le College Board.

Dans certains cas, les prêts étudiants constituent un fardeau même pour des seniors aux finances saines. Dans le Minnesota, Maxine Bass, 60 ans, avait de bonnes références bancaires et un emploi stable. Lorsque sa petite-fille a voulu faire des études de biologie à St. Catherine University, elle n’a donc pas hésité à contracter avec elle un emprunt de 38 000 dollars [29 000 euros]. Mais quand sa petite-fille, peinant à décrocher un emploi correctement payé, n’a plus été en mesure de payer certaines traites, les finances de Maxine Bass en ont pris un coup. A force de pénalités de retard et d’échéances non honorées, la grand-mère et la petite-fille doivent aujourd’hui près de 69 000 dollars [52 700 euros]. Elles remboursent actuellement tous les mois, mais Maxine craint de ne pas pouvoir rattraper son retard.

“De nombreux parents dont l’enfant a fait des études supérieures pensaient profiter de leur retraite. Ils doivent continuer à travailler pour rembourser un prêt”, constatait il y a peu Richard J. Durbin, sénateur démocrate de l’Illinois. Ce dernier a déposé une proposition de loi qui permettrait d’annuler les prêts étudiants souscrits auprès d’établissements privés (mais pas les prêts publics contratés auprès de l’Etat fédéral) en cas de faillite personnelle. A l’instar de nombreuses associations de consommateurs, Sallie Mae, l’un des plus gros établissements de crédit aux étudiants, est favorable à cet effacement de la dette en cas de faillite. L’année dernière, Barack Obama s’était attelé au problème en assouplissant les conditions de remboursement des prêts étudiants de l’Etat fédéral : en vertu de cette nouvelle réglementation, le prêt peut être annulé quand les remboursements sur vingt ans ont atteint 10 % des revenus de l’emprunteur.

Reste que la proposition de loi de Richard J. Durbin ne traite qu’un des aspects d’un problème bien plus global, celui du coût des études. Tant que cette question ne sera pas résolue, l’endettement des seniors américains au titre de prêts étudiants continuera d’augmenter.