Menaces via les budgets pub de France 2 : Coca n'est pas le seul à faire pression

Irritée par un documentaire, la marque de soda envisagerait des sanctions publicitaires. La Société Générale et le Crédit Agricole l'ont fait en 2012.

Par Olivier Milot

Publié le 30 janvier 2013 à 00h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 04h57

Touche pas à mon image ! Les entreprises n’aiment pas que les médias donnent d’elles une image différente de celle qu’elles se construisent à grand renfort de campagnes de publicité. Plus encore, elles détestent qu’ils dénoncent leurs petites ou grosses combines. Alors, pour se faire entendre de ceux qui voudraient malgré tout franchir la ligne jaune, elles disposent d’un moyen de pression efficace : « sucrer » les budgets publicitaires. Car derrière les entreprises se cachent des annonceurs qui à tout moment peuvent décider de supprimer leurs investissements publicitaires. C’est ce qui serait arrivé début janvier à France 2 avec Coca-Cola, comme l'a révélé Le Canard Enchaîné. La chaîne a diffusé le mardi 8 janvier un documentaire Coca-Cola, la formule secrète qui, à défaut de révélations fracassantes, n’était pas particulièrement light dans son enquête et son commentaire. Le préjudice pour France 2 dépasserait le million d'euros.

Au début, tout s’est pourtant bien passé avec Coca-Cola France. L’équipe du film avait pu tourner des images au « World of Coca-Cola », ce musée dédié au monde merveilleux de la marque à Atlanta. Bien sûr, il avait fallu accepter d’être accompagné de l’attaché de presse française et d’un responsable de la sécurité locale, promettre de ne pas filmer les visiteurs… Toutes ces petites intentions qui permettent de verrouiller une saine communication d’entreprise. Les relations se sont ensuite détériorées quand les journalistes ont cherché par tous les moyens à rencontrer le grand manitou de Coca, Muhtar Kent. En vain, malgré la dizaine de mails, la vingtaine d’appels et une lettre déposée directement à son domicile. Mais, là où les choses se sont vraiment gâtées, c’est quand la co-réalisatrice, Olivia Mokiejewski, s’est invitée à l’assemblée générale annuelle des actionnaires de Coca pour poser les questions qui fâchent :

La séquence qui a déclenché la guerre entre Coca-Cola et France 2.

« Le tournage a été compliqué », reconnaît la productrice Patricia Boutinard-Rouelle, « s’attaquer à une entreprise comme Coca-Cola, ce n’est pas simple. » Pas facile à financer non plus. Les chaînes privées ont toutes refusé le projet. Pas question d’aller titiller un annonceur qui, en 2012, a dépensé 52,7 millions d'euros en télévision. Alors comme souvent, c’est le service public qui s’y est collé, et en l’occurrence France 2. Après la séquence de questions à l’assemblée générale de Coca-Cola, les appels du géant du soda n’ont pas tardé. A France Télévisions pour se plaindre des méthodes d’enquête et demander à voir le film avant diffusion, à sa régie publicitaire pour faire amicalement pression.

En 2012Coca-Cola a investi 2,38 millions d’euros sur France Télévisions. Un montant plus important que les années passées du fait de la diffusion des Jeux Olympiques. En temps normal le profil vieillissant des téléspectateurs de France Télévisions attire plutôt moins la firme d’Atlanta. Mais en période de rigueur budgétaire, un euro est un euro et perdre un annonceur, jamais une bonne nouvelle. La régie a donc remonté les doléances de Coca-Cola à la direction de France Télévisions qui, après avoir fait visionner le film par son service juridique, est passée outre. A la clé, une belle audience (2,1 millions de téléspectateurs, et 162 000 en replay) et un annonceur furieux qui en aurait tiré les conséquences en sabrant les investissements publicitaires sur les chaînes publiques en 2013.

A France Télévisions, on préfère ne pas s’étendre sur cette affaire. D’autant qu'elle n’est pas la première. En avril 2012, suite à une enquête de Cash Investigation sur le « greenwashing » (l’éco-blanchiment en bon français), le Crédit Agricole avait annoncé qu’il supprimerait toute publicité sur les chaînes publiques. Dans les faits, il l'a maintenu quelques mois avant de la supprimer en décembre. Plus récemment, en octobre dernier, la Société Générale, ulcérée par une interview de l’ex-trader, Jérôme Kerviel, dans l’émission de Laurent Ruquier (« On n’est pas couché »), a elle aussi interrompu toute publicité sur France Télévisions.

La crise facilite ce comportement des annonceurs. La baisse des investissements publicitaires est telle depuis des mois qu’elle les met en position de force face à des dirigeants de chaînes plus enclins à se montrer conciliants avec ce type de pratiques. Que les chaînes publiques pourtant soumises à un budget de rigueur sévère y résistent et ne se laissent pas dicter leur ligne éditoriale par les annonceurs est une bonne nouvelle.

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