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Quel modèle énergétique pour le Japon de demain ?

L'accident de Fukushima a mis en évidence les failles du secteur électrique japonais. Mais l'Archipel pourrait aussi profiter de son avance en matière de recherche sur les économies d'énergie.

Par Mathilde Gérard

Publié le 01 avril 2011 à 17h51, modifié le 06 avril 2011 à 11h06

Temps de Lecture 6 min.

Des ouvriers tentent de réparer des lignes de courant dévastées par le séisme et le tsunami du 11 mars, à Onagawa, dans la préfecture de Miyagi.

L'accident nucléaire de la centrale de Fukushima a mis en évidence les failles du système de production d'électricité japonais, avec un fournisseur au bord de l'asphyxie financière, un rejet par la population de l'électricité nucléaire et des difficultés d'approvisionnement dans la moitié nord-est du pays. Mais le Japon pourrait aussi profiter de son avancée en matière de recherche sur les économies d'énergie.

  • Les spécificités du modèle électrique japonais

Dix grandes entreprises électriques, chacune ayant un monopole régional, se répartissent 85 % du marché de la fourniture d'électricité au Japon. Ces compagnies privées contrôlent à la fois la production et les infrastructures de distribution d'électricité. Des dix électriciens, Tokyo Electric Power (Tepco, l'opérateur de la centrale de Fukushima) est de loin le plus important, avec 27 % de la capacité de production.

L'électricité japonaise repose à 63 % sur les centrales thermiques (charbon, gaz naturel liquéfié, fioul...), ce qui implique, pour un pays disposant de peu de ressources fossiles, un faible niveau d'autosuffisance : 16 %, selon les données de l'Agence d'information sur l'énergie américaine. Le Japon est ainsi le premier importateur au monde de charbon et de gaz naturel liquéfié. L'énergie nucléaire représente la deuxième source d'électricité (27 %). Une faible part (2 %) est fournie par les énergies renouvelables, bien que le Japon soit le troisième producteur mondial d'énergie solaire et que d'importants projets d'éolien en mer soient en cours de discussion.

  • Un système électrique dual

Dans le nord-est de l'île de Honshu (région qui comprend l'agglomération de Tokyo et ses 30 millions d'habitants), la capacité de production d'électricité a diminué de 20 %. Onze réacteurs nucléaires (parmi lesquels les six réacteurs de Fukushima) ainsi qu'une dizaine de centrales thermiques de la région sont en effet à l'arrêt depuis le 11 mars. Des coupures de courant quotidienne de trois heures permettent de réguler la distribution, et plusieurs entreprises ont d'ores et déjà adopté des horaires de nuit, afin de ne pas peser sur l'approvisionnement en électricité des régions sinistrées.

A Tokyo, l'éclairage public a été réduit après le 11 mars pour donner la priorité énergétique aux régions sinistrées.

Mais à la carence de production s'ajoute une particularité bien japonaise, détaillée par El Pais : depuis la fin du XIXe siècle, le Japon fonctionne sur deux fréquences distinctes d'électricité, ce qui complique lourdement l'aide aux sinistrés. Le nord-est de l'Archipel est alimenté sur une fréquence de 50 hertz, comme la majorité des pays européens, tandis que le sud-ouest du pays, dont le réseau électrique a été construit en collaboration avec l'américain General Electric, est alimenté sur une fréquence de 60 hertz. Or le Japon dispose de très peu de convertisseurs qui permettraient d'alimenter le nord de l'archipel avec l'électricité produite dans le Sud.

"C'est une contradiction de plus, qui accroît l'amertume ressentie par une majorité de Japonais, qu'un si petit pays (de 377 835 km2 de superficie), aussi développé sur le plan technologique, ait deux réseaux électriques distincts et si peu de convertisseurs", note El Pais. La conversion entre les deux fréquences est possible, poursuit un expert interrogé par le quotidien madrilène, mais il faudra sûrement attendre "des mois" avant que celle-ci soit effective.

  • Quelle restructuration pour le secteur ?

L'organisation du secteur en dix électriciens d'ampleur régionale est-elle viable à terme ? L'accident de Fukushima montre les limites d'une organisation dans laquelle une structure régionale doit assumer non seulement les coûts d'intervention sur la centrale nucléaire endommagée, mais aussi les indemnisations de toutes les victimes de cet accident, des personnes évacuées, ou encore des agriculteurs dont la production est devenue invendable.

Des rumeurs ont circulé dans la semaine autour d'une possible nationalisation de Tepco. Mais, vendredi 1er avril, le premier ministre, Naoto Kan, a insisté sur le fait que Tepco resterait une entreprise privée, mais bénéficierait d'aides publiques. Le ministre de l'industrie, Banri Kaieda, a ainsi indiqué que le gouvernement créerait un comité spécial pour étudier le type d'aide financière que l'Etat pourrait apporter. Rien n'indique donc pour l'instant que la répartition régionale et le statut privé des compagnies électriques japonaises soient révisés.

  • La remise en cause du nucléaire : quelles alternatives ?

"Il était question, avant le séisme du 11 mars, de porter la part du nucléaire de 27 % à 50 % d'ici à 2030", souligne Evelyne Dourille-Feer, économiste au Centre d'études prospectives et d'informations internationales, et spécialiste de l'économie japonaise, dans le but notamment de réduire la dépendance de l'Archipel aux importations de charbon, de pétrole et de gaz. Mais cet objectif a bien évidemment été revu depuis l'accident, et on peut s'attendre à un gel du nucléaire dans les prochaines années.

"Les compagnies qui disposent de centrales nucléaires ont déjà commencé à évaluer les coûts pour faire monter en gamme et améliorer la sécurité de leur équipement nucléaire, explique Evelyne Dourille-Feer. Le coût du nucléaire va donc fortement augmenter et ne sera plus aussi compétitif par rapport à des centrales conventionnelles, à base de pétrole, de gaz naturel liquéfié ou de charbon."

Installation de panneaux solaires au-dessus d'un bâtiment public à Minami-Sanriku, ville du nord-est de Honshu dévastée par le séisme du 11 mars.

L'accident de Fukushima et le gel du nucléaire qui se dessine au Japon sont aussi l'occasion d'accélérer le développement des énergies renouvelables. Mais celles-ci sont loin d'être en mesure de remplacer la part du nucléaire. "Au niveau hydro-électrique, le maximum est déjà exploité, constate Evelyne Dourille-Feer, donc il n'y a pas de gros développements à attendre de ce point de vue." Le solaire ou l'éolien ont davantage de marges de progression, mais leur part reste marginale.

Les analystes imaginent donc surtout un développement des centrales thermiques conventionnelles, avec à la clé une hausse des émissions de gaz à effet de serre. Un signe qui ne trompe pas : peu après la catastrophe du 11 mars, le cours du charbon bondissait de 11 %, tandis que celui du gaz naturel liquéfié prenait 4 %.

A lire : Le gaz et le charbon vont largement bénéficier du rejet de l'énergie nucléaire" (édition Abonnés)

  • Une recherche avancée sur les économies d'énergie

En parallèle à cette réorganisation attendue du secteur énergétique, "les Japonais vont dépenser beaucoup de crédits dans la recherche sur les économies d'énergie, comme ils l'ont déjà fait dans le passé, après les chocs pétroliers des années 70", note Evelyne Dourille-Feer.

Pour compenser son manque de matières premières fossiles, le Japon a en effet développé très tôt un plan national de recherche sur les économies d'énergie. Une loi oblige ainsi depuis 1979 les industriels à améliorer leur efficacité énergétique de 1 % chaque année, et toute usine doit avoir au moins un employé dédié à ce sujet.

Une autre loi instaurée en 1998, dite du "top runner", oblige chaque nouveau modèle industriel à égaler, sinon surpasser, les modèles les plus économes en énergie disponibles sur le marché. Les autorités japonaises ont ainsi instauré un esprit d'émulation entre industriels, les forçant à des innovations énergétiques constantes. Nul doute que le Japon est ainsi devenu leader sur le marché des véhicules à moteurs hybrides et électriques.

Lire un bilan par le ministère de l'économie japonais (en anglais et au format PDF) du programme "top runner"

Conséquence de cette politique pionnière de recherche en économies d'énergie, les Japonais consomment par tête moitié moins d'énergie que les Américains, selon des données de l'ONU. Le niveau de consommation d'énergie est équivalent à celui d'il y a quarante ans, malgré la hausse du niveau de vie. Selon les projections officielles, la consommation énergétique ne devrait augmenter que de 0,7 % par an jusqu'en 2018. Après Fukushima, les Japonais vont donc tenter de tirer parti de leur avance en matière d'économies d'énergie pour réduire leur double dépendance au nucléaire et aux importations de matières premières fossiles.

Lire un reportage auprès d'une famille japonaise de la banlieue de Tokyo, illustrant l'avance du Japon en matière d'économies d'énergie, sur le site d'informations californien KQED.

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