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Profitons de la crise pour refonder la société, par Gérard Mermet

Les Bourses plongent, la planète est mal en point, les inégalités progressent : c'est le moment ou jamais de lancer une réflexion collective conduisant à améliorer les modes de vie et de consommation dans un monde plus durable. Une "utopie réaliste".

Publié le 13 octobre 2008 à 13h34, modifié le 13 novembre 2008 à 16h46 Temps de Lecture 5 min.

La bulle financière explose, la pauvreté, la faim et les inégalités gagnent du terrain dans le monde, au moment même où celui-ci prend conscience que la planète est dégradée, que les ressources sont limitées et que la survie des espèces vivantes n'est plus assurée. Y compris la nôtre. Cette concomitance inédite de difficultés, contraintes et menaces constitue pourtant une chance historique de transformer le monde et d'y vivre mieux. La France pourrait, si elle le voulait, être à la pointe de ce combat.

Si la crise est inquiétante, voire obsédante dans la plupart des pays développés (les enquêtes manquent sur les autres), elle l'est plus encore dans notre pays. Le moral est plus bas qu'ailleurs, l'inquiétude plus mal vécue, la méfiance plus forte, le cynisme plus apparent, la cohabitation plus difficile. Certaines exceptions nationales sont des handicaps à l'adaptation (sans même parler d'innovation) : irréalisme ; uniformisme ; amoralisme ; "petisme" ; culture de l'affrontement... Notre société "mécontemporaine" cultive ainsi le pessimisme et la peur. L'économie souffre d'anémie et la société d'anomie (disparition des repères et valeurs collectifs permettant de guider les comportements individuels).

Comment, dans ces conditions, aider les Français à garder (ou plutôt à retrouver) le moral ? On peut faire trois suggestions. La première, en forme de clin d'oeil, serait de s'éloigner davantage encore de la réalité. Outre le recours (déjà massif) aux antidépresseurs, on pourrait se conformer au précepte chinois des trois singes : ne rien voir (jeter les postes de télévision, ne plus lire les journaux) ; ne rien entendre (éteindre la radio, ne pas écouter les conversations) ; ne pas parler (sauf pour commenter les bonnes nouvelles, si l'on en trouve encore !). Mais cette inconscience volontaire ne ramènerait pas l'insouciance. Mieux vaut pour la démocratie et pour les générations futures favoriser le débat entre Mutants et Mutins que de voir s'accroître le nombre des Moutons (ou autruches).

La seconde suggestion, a priori plus facile à mettre en oeuvre, serait de relativiser la misère nationale. Le paupérisme, le misérabilisme, le dolorisme et le victimisme ambiants ne sont pas en effet des facteurs de dynamisation mais d'insatisfaction et de tension. Cela ne saurait empêcher de reconnaître et de déplorer la recrudescence récente des inégalités de revenus ou, surtout, des patrimoines.

La croissance n'a pas profité uniformément à tous, et la solidarité nationale devra mieux faire son travail de redistribution. Pour y parvenir, la réduction sensible ou la suppression de certains écarts inacceptables est un préalable : stock-options ; parachutes dorés ; niches fiscales ; retraites "coup de chapeau" ; rentes de situation et autres privilèges "haut de gamme".

Avant de demander aux classes moyennes de faire des efforts, il faudra demander (ou imposer) à la tranche supérieure une participation plus grande à la solidarité, un peu plus de décence et de vertu. Peu importe si l'impact macroéconomique est faible, la dimension symbolique sera considérable, comme ses conséquences sur le climat intérieur. Dans la situation actuelle, l'exemplarité est la condition première de la paix sociale, de l'adaptation par la réforme et l'innovation.

La troisième suggestion est d'une autre nature. Le moment n'a jamais été plus opportun pour réinventer le modèle de société de consommation avec lequel nous vivons depuis une cinquantaine d'années, et qui satisfait de moins en moins ceux qui en ont bénéficié. On constate en effet une assez faible corrélation entre le niveau des dépenses et celui du contentement.

La consommation s'apparente à une recherche de consolation, un moyen de remplir un vide existentiel croissant. Avec, à la clé, beaucoup de frustration et un peu de culpabilisation, accrue par la prise de conscience écologique. A quoi s'ajoute, chez beaucoup de Français, le sentiment d'être manipulé par un système marchand qui apparaît plus "exhausteur" qu'exauceur de désir.

La régulation collective des marchés aujourd'hui souhaitée pourrait ainsi s'accompagner d'une régulation individuelle des désirs. Elle est déjà apparente dans certaines stratégies d'adaptation à la crise ou de résistance à la société de consommation, mises en place par des individus, des familles ou des communautés. On peut citer pêle-mêle les adeptes du low cost ou du hard discount (qui ne se recrutent pas seulement parmi les ménages aux fins de mois difficiles), les acheteurs de produits bio, les partisans du commerce équitable ou solidaire, ceux qui favorisent au contraire les producteurs locaux, ou les apôtres de la frugalité.

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Parmi les alterconsommateurs, quelques intégristes trouvent leur plaisir dans l'abstinence plutôt que dans l'abondance. Mais, pour le plus grand nombre, la quête est avant tout celle de l'harmonie. La tendance "éco" s'annonce en tout cas durable. Elle mélange l'économique et l'écologique, de sorte que l'avenir est à l'"éconologie". A moins que ce ne soit à l'"écolonomie".

Le défi pour les années à venir n'est pas tant de réformer l'offre (sous-entendu de réguler le capitalisme ou le libéralisme planétaire) que d'accompagner une transformation de la demande qui est en cours. Ceux qui imaginent que la crise est passagère s'illusionnent. Mais ceux qui prédisent la catastrophe pour les sociétés développées font une mauvaise analyse. Le moment est au contraire particulièrement propice pour refonder le système, dans le but de rendre les vies individuelles plus riches parce que plus autonomes et responsables, la planète plus saine et durable, les relations sociales plus détendues.

La nouvelle société de consommation possible ne répondrait plus comme aujourd'hui en priorité à des motivations "défensives", qui consistent à réparer les dégâts occasionnés par son fonctionnement : stress ; mal-être ; fatigue ; besoin de se divertir... Elle refuserait d'être le jouet des pressions diverses exercées sur les individus pour qu'ils se dotent des attributs toujours renouvelés de la modernité. Elle ne reposerait plus seulement sur le désir mimétique, la comparaison et la compétition avec autrui. La nouvelle consommation serait ainsi davantage un miroir reflétant l'identité profonde des individus qu'une vitrine exposant leur statut social, leurs différents rôles et avatars. Elle ne servirait plus seulement à satisfaire les sens, mais aussi à donner un sens à la vie et de la longévité à la planète. Il faut souligner que le seul horizon possible de cette remise en cause n'est pas la "déconsommation", facteur d'une décroissance qui aurait des conséquences douloureuses, voire désastreuses, pour de nombreux individus.

Dans un contexte de difficultés avérées, de catastrophes annoncées, une réflexion collective sur les valeurs et les modes de vie est nécessaire. D'autant qu'elle est moins un luxe de nantis qu'un réflexe de survie. Elle peut déboucher sur une "utopie réaliste", fondatrice d'un nouveau modèle de civilisation, avec des modes de vie plus satisfaisants dans un monde plus durable. Si l'on y parvient, on pourra dire rétrospectivement : vive la crise !


Cet article est la synthèse d'une réflexion plus globale disponible sur le site de l'auteur : www.gerardmermet.fr.

Gérard Mermet est sociologue, spécialiste de la consommation, auteur de "Francoscopie".

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