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Amende requise contre le viticulteur bio qui dit non aux pesticides

Emmanuel Giboulot a refusé de traiter ses ceps contre la flavescence dorée. Une amende de 1 000 euros, assortie pour moitié du sursis, a été requise.

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Publié le 24 février 2014 à 07h50, modifié le 24 février 2014 à 22h50

Temps de Lecture 5 min.

Le viticulteur Emmanuel Giboulot salue ses soutiens avant le début de son procès à Dijon, lundi 24 février.

Un vignoble bio peut-il être forcé d'utiliser des pesticides pour lutter contre une maladie mortelle de la vigne ? C'est la question épineuse à laquelle s'est heurté Emmanuel Giboulot, qui exploite 10 hectares en biodynamie sur la côte de Beaune et la haute-côte de Nuits, en Bourgogne.

Le viticulteur de 51 ans comparaissait, lundi 24 février, devant le tribunal correctionnel de Dijon pour avoir refusé de traiter ses cépages de chardonnay et de pinot noir contre la flavescence dorée. Une amende de 1 000 euros, assortie pour moitié du sursis, a été requise à son encontre. M. Giboulot « a commis une infraction pénale. Il n'a pas respecté par choix idéologique l'arrêté préfectoral » qui imposait de traiter toutes les vignes de Côte-d'Or, a estimé le parquet. La juge a mis la décision en délibéré au 7 avril. 

Emmanuel Giboulot encourait jusqu'à six mois d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende. L'affaire, largement médiatisée, divise militants écologistes et profession viticole. « Je ne voulais pas utiliser de produits chimiques dans mes parcelles, que ma famille cultive en bio depuis 1970, a dit M. Giboulot. Je suis donc jugé pour avoir refuser d'empoisonner mes propres terres. »

Notre journaliste Audrey Garric a suivi l'audience :

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LUTTE OBLIGATOIRE CONTRE L'ÉPIDÉMIE

Tout commence en juin 2013, quand un arrêté préfectoral impose le traitement de « l'ensemble des vignobles de la Côte-d'Or » au moyen « d'une application unique d'un insecticide ». Visée : la cicadelle, petit insecte vecteur de la flavescence dorée, une maladie très contagieuse et mortelle pour la vigne.

Alors que cette épidémie se répand en France depuis les années 1950, plus de la moitié du vignoble est aujourd'hui soumise à un plan de lutte obligatoire — en vertu de réglementations nationales et européennes. Parmi les mesures : surveiller les plants, n'utiliser que des jeunes ceps traités à l'eau chaude, arracher les souches contaminées et enfin maîtriser l'insecte vecteur avec des traitements chimiques.

Au début de l'été, aucun foyer n'est détecté en Côte-d'Or, mais certains plants sont suspectés. Par ailleurs, le département voisin, la Saône-et-Loire, touché depuis 2011, en est à sa troisième campagne contre la maladie. La préfecture de Dijon exige alors une lutte chimique contre la cicadelle.

« PAS DE FOYER AVÉRÉ DANS LE DÉPARTEMENT »

« J'ai refusé de faire ce traitement systématique dans la mesure où il n'y avait pas de foyer avéré dans le département », explique Emmanuel Giboulot. « Il existe un décalage d'au moins une année entre la contamination d'une souche et l'apparition des symptômes. Quand on voit le foyer, c'est déjà trop tard, rétorque Olivier Lapôtre, chef du service régional de l'alimentation de la direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (Draaf) de Bourgogne, chargé de la lutte contre la flavescence dorée. Nos craintes étaient fondées, puisque des cas ont été trouvés à quelques kilomètres de Beaune. »

Selon la préfecture de Bourgogne, « une seule parcelle de 0,20 hectare a été fortement touchée » par la flavescence dorée en 2013 et devait être arrachée.

DESTRUCTION DE LA FAUNE AUXILIAIRE

La cicadelle, insecte vecteur de la flavescence dorée.

Surtout, pour les viticulteurs bio, un seul insecticide permet de lutter contre la cicadelle tout en conservant leur label : le Pyrevert, à base de pyrèthre naturel — extrait des fleurs séchées du chrysanthème. « Mais cet insecticide n'est pas sélectif : il tue non seulement la cicadelle mais aussi la faune auxiliaire nécessaire aux équilibres naturels dans le vignoble, dénonce le viticulteur. Il détruit par exemple le typhlodrome, un acarien prédateur naturel des araignées rouges qui se nourrissent de la sève de la vigne. »

« Le Pyrevert, même s'il est d'origine naturelle, est nuisible pour l'environnement : c'est un neurotoxique qui peut affecter les insectes, mais aussi les oiseaux, les animaux, et même les viticulteurs selon les doses utilisées », affirme Denis Thiery, directeur de l'unité santé et agroécologie du vignoble à l'Institut national de la recherche agronomique.

« ARRÊTÉ PRÉFECTORAL ILLÉGAL »

Contrôlé en infraction le 30 juillet par la Draaf, Emmanuel Giboulot a fait l'objet d'une convocation devant le délégué du procureur de la République du tribunal d'instance de Beaune. Le non-respect d'un arrêté préfectoral en ce qui concerne la lutte contre les maladies animales et végétales réglementées est en effet considéré comme un délit par le Code rural.

« Cet arrêté est illégal. Seul le ministre de l'agriculture est compétent à agir, et non le préfet, en l'absence d'urgence motivée dans l'arrêté », objecte Me Benoist Busson, l'avocat d'Emmanuel Giboulot, spécialisé dans le droit de l'environnement, qui va plaider la relaxe du vigneron.

Par ailleurs, rappelle l'avocat, le ministère avait pris, en 2003, un arrêté contre la flavescence dorée limitant géographiquement l'action à mener en cas de maladie. Ce texte, revu en décembre dernier, précise que lorsqu'un cep est contaminé sur une parcelle, le périmètre de lutte inclut la commune où il se trouve et éventuellement ses voisines, « mais pas tout le département ». « Or, Beaune ne faisait pas partie des communes voisines des foyers de flavescence », relève-t-il. Et de dénoncer : « La préfecture a fait du zèle et s'est laissé aller à de vieux réflexes consistant à trop épandre de pesticides de manière préventive. »

La France est de fait le premier consommateur de pesticides en Europe. Le plan Ecophyto, lancé en 2008 à la suite du Grenelle de l'environnement afin de réduire l'usage des produits phytosanitaires, ne montre pas les résultats escomptés.

COMITÉS ET PÉTITIONS DE SOUTIEN

Une utilisation massive et préventive des pesticides que dénonce également le comité de soutien formé autour d'Emmanuel Giboulot. Rassemblant Europe Ecologie-Les Verts, le NPA, Greenpeace et Attac, il réclame l'arrêt des poursuites judiciaires envers tous les viticulteurs « engagés dans une procédure alternative ». « L'assignation d'Emmanuel Giboulot vient démontrer une nouvelle fois l'absurdité d'un système qui condamne ceux qui font le choix courageux de promouvoir d'autres approches agricoles comme la biodynamie », dénonce dans un communiqué Sandrine Bélier, députée européenne EELV.

Dans sa défense, Emmanuel Giboulot pourra sans doute compter sur cette large mobilisation autour de son cas. Une vidéo lancée par l'Institut pour la protection de la santé naturelle, association basée à Bruxelles, a largement circulé depuis quelques semaines. Une pétition ainsi qu'une page Facebook ont également été lancées, recueillant respectivement plus de 400 000 signatures et près de 100 000 likes.

La profession viticole, elle, ne voit pas d'un bon œil cette affaire, qui « nuit » à la filière. Le bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne (BIVB) a ainsi dénoncé, lors d'une conférence de presse à Beaune vendredi 21 février, des « contre-vérités » véhiculées autour du cas, isolé, de M. Giboulot, dont il refuse de faire un martyr du bio car « il n'est pas l'unique défenseur de la nature en Bourgogne ». Pour Claude Chevalier, président du BIVB : « Non, la Bourgogne ne pollue pas en traitant ses vignes. »

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