Olivier Mouton

La Belgique intranquille

Olivier Mouton Journaliste

La grogne syndicale touche désormais la majorité des secteurs gérés par le gouvernement fédéral, pas ou peu par les régions. C’est un mouvement politique autant que social contre une majorité dont le projet est inaudible.

Quelques dizaines de milliers de personnes manifestent dans les rues de Bruxelles ce matin. C’est le reflet d’une exaspération croissante contre cette majorité fédérale inédite qui ne lâche rien. Au-delà de cette expression classique, ce qui frappe ces derniers temps, c’est la radicalisation larvée d’un mouvement qui déborde peu à peu les organisations syndicales. Certes, nous ne sommes pas encore dans une situation française où l’on bloque les dépôts de carburants. Mais pratiquement tous les secteurs sont désormais touchés par une guérilla rampante: la grève dans les prisons, les congés de maladie chez Belgocontrol, la fronde de la magistrature, la protestation croissante au sein de l’administration fiscale… Il suffirait d’un rien pour que cela ne dérape gravement.

Cette mobilisation a certes des motivations sociales face à des réformes qui font mal: relèvement de l’âge de la pension, saut d’index, réorganisation du temps de travail… Mais elle se nourrit aussi sur du mépris du gouvernement fédéral. Et elle s’enracine dans un discours qui est de plus en plus inaudible, qui loue ceux qui se lèvent tôt, mais injurie ceux qui sont abîmés par la vie, qui ont le tort de venir d’ailleurs ou qui privilégient la vie de famille. L’équipe Michel est née dans une volonté de polarisation, pour « remettre de l’ordre dans le pays », elle ne pouvait, il est vrai, que générer ce type de colère.

Il y a donc quelque chose de profondément politique dans la déferlante de ce mardi à Bruxelles. Contre une Suédoise dominée par le cynisme de la N-VA. Contre ces ministres considérés comme des « apothicaires », uniquement préoccupés par des colonnes de chiffres qu’ils maîtrisent mal. Contre des gestionnaires de l’État, davantage soucieux de le déshabiller que de nourrir une vision pour l’avenir. C’est une mobilisation politique, oui, car comment expliquer autrement le fait que les gouvernements régionaux et communautaires soient à ce jour épargnés, alors que la rigueur budgétaire touche aussi directement l’enseignement, la culture ou la mobilité.

La Belgique est malade de son intranquillité. Et c’est peut-être cela le plus préoccupant.

Le mouvement social actuel témoigne de la difficulté à réformer en profondeur le pays et à prendre des décisions courageuses. Car on peut reprocher beaucoup de choses au gouvernement Michel, mais pas de ne pas agir pour, par exemple, doper notre compétitivité. C’est une majorité au service des patrons, incontestablement, mais c’est une équipe qui fait des choix indispensables pour relancer l’activité.

Le mouvement social exprime parallèlement une inquiétude diffuse, un conservatisme ambiant, l’incapacité chronique et compréhensible d’une population qui ne peut se résigner à vivre moins bien qu’avant. La Belgique est secouée d’une réforme institutionnelle à l’autre, le monde change, la globalisation procède à des rééquilibrages économiques profonds et donne lieu à des migrations en mode accéléré. Nous sommes bousculés tant dans nos portefeuilles que dans nos modes de vie. Dans notre identité.

Bien sûr, la manifestation de ce jour estime que « la coupe est pleine », elle dénonce en le caricaturant le passage aux 47 heures/ semaine qui serait généré par la réforme Peeters. Mais il y a plus que cela, bien plus que cela: le sentiment que ce pays ne sait pas vraiment où il va, qu’il n’est plus un paquebot rassurant, mais un hors-bord fragile dans la mer démontée de la mondialisation.

Il suffirait d’un rien pour que l’intranquillité ne se transforme en brasier

Ce sentiment prévaut des deux parts de la frontière linguistique, il ne s’agit pas que d’un ressenti francophone. Même s’il revêt des expressions différentes: il suffit pour s’en convaincre de voir les résultats des derniers sondages qui dopaient les extrémismes, de gauche en Wallonie, de droite en Flandre.

Ces derniers temps, la question se posait, tant au Nord qu’au Sud: où est Charles Michel ? Le Premier ministre est pourtant bien présent, il a réaffirmé au parlement sa détermination « à 1000 % », mais il peine à fédérer. Il est sans doute l’otage délibéré d’une N-VA intransigeante et incapable d’accepter une vraie dynamique fédérale. Il est certainement un chantre du libéralisme convaincu de ses vertus sociales et ancré dans une logique européenne plus large. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il ne réussit pas à convaincre au-delà du cercle de ses partisans.

En soi, pour un Premier ministre, c’est une faute grave.

L’économiste Bruno Colmant disait lundi sur la Première que le pays, en ces temps agités de crise et de menace terroriste, était en manque d’une figure de père.

Tout n’est pas perdu pour autant. Au-delà de la grogne s’expriment encore des envies de se mobiliser, positivement. L’appel de trois patrons d’entreprises à un sursaut fédéral, à une relance de la Belgique projet par projet, a reçu l’appui de syndicalistes. Notre pays a besoin d’une telle approche pragmatique, pacificatrice et éclairée.

Pour cela, il faudra que chacun fasse un pas vers l’autre, le fédéral, les Régions, les partenaires sociaux… Et que le Premier ministre se débarrasse de ces cordes qui le lient pour incarner vraiment un sursaut national. Réaliste, oui, mais porteur d’avenir.

Il est urgent d’emprunter cette voie avant que l’intranquillité ne se transforme en brasier.

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