Critique

FRANCE 3, SAMEDI 22h30. Le cartable de Big Brother, documentaire. Les patrons font l'école numérique.

par Paul Quinio
publié le 30 janvier 1999 à 23h23

Les chevaliers de la Table ronde européenne sont quarante-sept. Tous

sont de grands patrons du monde de l'industrie, d'IBM à Petrofina, ou BP. Quand ils se réunissent discrètement dans leurs locaux, en Belgique, ils n'ont qu'une idée en tête: la privatisation des services publics d'éducation. Et une arme de choix: les nouvelles technologies. Face à eux, dans le documentaire bien ficelé de Francis Gillery, le Cartable de Big Brother, le pédagogue Philippe Meirieu ne pèse finalement pas très lourd. Sur le mode de l'avertissement ­ mais n'est-il pas trop tard? ­, c'est dans le sillage de ces industriels, convaincus que «les autoroutes de l'information sont l'épine dorsale à toute stratégie de privatisation de l'enseignement», que nous emmène Francis Gillery. Ecole virtuelle. Ce dernier s'appuie en grande partie sur l'enquête d'un journaliste belge, Gérard de Selys, sur les lobbyistes de l'ERT (European Round Table) et ses liaisons semi-officielles avec la Commission européenne et sa commissaire chargée de l'éducation, Edith Cresson. De Bruxelles à Marseille, du centre de recherche de Petrofina aux couloirs de la Commission, Gillery piste cette école de demain, virtuelle, sans punitions, ou plutôt si, avec des punitions «en ligne», enfin débarrassée de ces maîtres qui aujourd'hui «déversent du savoir sans se préoccuper de leurs élèves». Une école sans école, mais avec des salles de cours universelles et des programmes éducatifs interactifs pour enfin «apprendre de manière active». Une école formidable évidemment où tous les élèves progresseraient à la vitesse grand V. Et en rigolant! Une école surtout aux mains d'industriels qui ont trop bien compris que le multimédia éducatif connaît un taux de croissance de 40%, alors que l'édition traditionnelle, de son côté, est en chute libre. «De tous les métiers, ceux de l'éducation seront les plus bouleversés par les nouvelles technologies», prédit ainsi François Cornelis, PDG de Petrofina et vice-président de Total.

Demain, c'est déjà aujourd'hui en Belgique où l'ERT et Petrofina expérimentent leur «programme d'école du futur». «C'est Orwell.» A Louvain aussi, où la prestigieuse université vient de se choisir un nouveau président, le PDG de Petrofina justement, pour diriger son conseil d'administration. A Marseille, enfin, où des matheux travaillent à l'élaboration d'une carte à puce européenne des compétences, qui suivrait chaque individu ­ «c'est Orwell» ­ , tout au long de sa scolarité, pour mieux servir les intérêts de ses futurs employeurs. Demain, c'est bientôt ailleurs, partout, «car même si on essaye, il sera difficile de résister», prévient l'ancien conseiller de François Mitterrand, Jacques Attali, en l'espèce allié objectif d'Edith Cresson.

Philippe Meirieu, l'actuel patron de l'Institut national de la recherche pédagogique, joue le contradicteur de Jacques Attali et d'Edith Cresson.

Résistance. «Il faudra résister», souligne Meirieu tout en certifiant que «les nouvelles technologies ne peuvent pas faire de l'éducation, car il n'existe pas d'exemple dans l'histoire de l'humanité d'une éducation sans face à face entre deux hommes». Claude Allègre ­ qu'une partie du corps enseignant accuse aujourd'hui de vouloir justement privatiser l'Education nationale ­ vole lui au secours de Meirieu et se défend de tout penchant libéral. «Mais bien sûr que l'on a les moyens de résister. Moi, je ne veux pas fabriquer des hommes et des femmes qui soient automatiquement formés et servent d'instruments aux entreprises.» Si Claude Allègre ne veut pas, voilà une bonne raison pour l'Education nationale d'être tout à fait rassurée sur son avenir".

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