Hyperloop, l’hyper entourloupe pour ses détracteurs

Les projets Hyperloop fleurissent aux quatre coins de la planète, y compris en France. La société Transpod doit d'ailleurs déposer un permis de construire pour une piste d'essais en Haute-Vienne le 10 août. De quoi alimenter le rêve de voyager dans ces capsules à 1 200 km/h dès la prochaine décennie... Fantasme ou réalité ? L'Usine Nouvelle a enquêté.

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Hyperloop, l’hyper entourloupe pour ses détracteurs
Les premiers tubes pour HTT à Toulouse.

Bastia – Cagliari en 40 minutes, Limoges – Paris en moins de 30 minutes, Paris – Marseille en 45 minutes, Toulouse – Paris en 40 minutes, Lyon – Saint-Etienne en 8 minutes… Qui dit mieux ? Le projet Hyperloop lancé par Elon Musk en 2013 a libéré les imaginations. Désormais, start-up comme entreprises ayant pignon sur rue s’intéressent au projet d’un transport de capsules dans un tube à 1 200 km/h.

En France, deux projets sont en concurrence. Le canadien Transpod à Limoges et l’américain Hyperloop TT à Toulouse. Tous deux ont bien compris que la grande vitesse était un sujet sensible en Haute-Vienne et en Haute-Garonne. Deux villes qui courent après le TGV depuis des années. Mais de là à prévoir une ligne Toulouse - Paris, qui pourrait se poursuivre jusqu’à Barcelone au sud et Francfort sur Main au nord avec arrêt à Limoges et Orléans pour la prochaine décennie...

Des tests avant deux ans

Interrogée par L'Usine Nouvelle, la société américaine Hyperloop Transportation Technologies (HTT), qui construit une ligne commerciale de 10 km à Abu Dhabi et espère ouvrir le premier segment en 2020, assure "avoir déjà résolu tous les obstacles technologiques nécessaires pour construire l’Hyperloop". "Les obstacles restant concernent plus la régulation et nous y travaillons avec de nombreux gouvernements autour du monde." Ses dirigeants assurent ne bénéficier d’aucun soutien financier public, développer un système confortable et sécurisé et moins cher qu’une ligne à grande vitesse. En tout cas, HTT a séduit les élus d’Occitanie pour pouvoir installer à Toulouse-Francazal (Haute-Garonne) son centre de recherche et de développement, ainsi qu’une piste d'essai. Trois morceaux de tubes ont déjà été livrés.

Transpod a été fondé en 2015 par Sébastien Gendron et Ryan Janzen à Toronto (Canada). La première levée de fonds a eu lieu un an plus tard auprès d’un investisseur italien de la région des Pouilles. "Nous avons créé une filiale en Italie pour développer des sous-ensembles et notamment la transmission de puissance, car l’un des points critiques est de pouvoir transférer du courant en continu sans fil", explique Sébastien Gendron. "Pour l’instant nous effectuons les tests en laboratoire mais avec la future piste de 3 kilomètres à Droux (Haute-Vienne), nous allons travailler avec une maquette à l’échelle 1:2." Il prévoit des tests pour 2019 et envisage déjà un second site pour réaliser des essais en 2022. Deux lieux sont en balance : un tronçon au nord-ouest d’Orléans sur le trajet de l’aérotrain de Bertin ou un site en Alberta (Canada).   

Lobbying intense

Les élus écologistes de la région Nouvelle Aquitaine dénoncent depuis plus de deux ans ce projet. "Les promoteurs du projet Hyperloop exercent depuis quelques mois un lobbying intense auprès des collectivités et des médias, notamment en Limousin, mais aussi à Toulouse ou dans la région des Pouilles (Italie). Objectif : décider les élu-e-s à engager des fonds publics pour développer une technologie qui répondrait aux besoins de mobilité des habitant-e-s des territoires", écrivaient les élus verts dans un communiqué daté de mars 2018 et titré : "Hyperloop : une entourloupe financière, technique et écologique". Et de citer un mathématicien spécialiste des transports, Alan Levy, pas tendre avec Hyperloop : "ce n’est pas un moyen de transport, c’est un voyage de tous les vomis."

Les détracteurs avancent des arguments financiers et technologiques. "Je retiens le fait qu’il y a deux choses. 50 millions d’euros pour un centre d’essai de trois kilomètres puis l’investissement pour relier la capitale à l’Occitanie. Quant à la fameuse ligne entre Limoges et Paris, c'est une vaste plaisanterie", fulmine Jean-Pierre Audoux, délégué général de la Fédération des industries ferroviaires (FIF).

À Limoges, le président PS du Conseil départemental de Haute-Vienne, Jean-Claude Leblois, a reçu les dirigeants de Transpod et a concédé une voie de trois kilomètres pour les essais sur la commune de Droux au nord du département. "Le département ne fait que céder le terrain, ensuite il faudra trouver des fonds. Ils vont effectuer des tests qui permettront de mesurer certains phénomènes. C’est une opportunité pour faire travailler notre université, nos étudiants et nos ingénieurs. Quant à une future ligne, il ne faut pas tout mélanger. Je prends les choses dans l’ordre mais Limoges doit être désenclavé et nous continuons le combat pour la LGV."

Une Silicon Valley à Limoges

Vincent Léonie, maire adjoint de Limoges (Mouvement radical) et surtout président de l’association Hyperloop Limoges défend aussi le désenclavement de sa ville. S’il ne veut pas brûler les étapes, il s’emballe parfois. "La Silicon Valley, au départ il n’y avait rien, et nous sommes sur le même principe", raconte Vincent Léonie. "Aujourd’hui, les terrains ne sont pas chers et disponibles à Limoges mais nous avons de l’intelligence avec notre université. Nous défendons le désenclavement par notre intelligence pour montrer ce que l’on est capable de faire. Imaginez un Francfort – Paris – Limoges – Barcelone."

Il se défend d’apporter la moindre contribution financière au projet Transpod. "Le tour de table de Sébastien Gendron [le président de Transpod] est à 100% privé. Après, si certaines collectivités veulent s’y joindre, pourquoi pas, mais je ne veux pas que les gens pensent que c’est une lubie d’un élu qui va dilapider l’argent public."

En tout cas, la signature avec les élus pour la cession du terrain devrait intervenir avant la fin du mois de mai et le permis de construire pourrait être déposé dès le mois de juin. Normalement, les travaux pourraient débuter au dernier trimestre 2018 et devraient durer six à neuf mois. Par contre, la communication sur la date des projets paraît totalement irréaliste. Freins économiques, environnementaux et technologiques laissent à penser que ce nouveau mode de transport relève pour l’instant plutôt de l’utopie.

Un coût rédhibitoire

Car il faut bien se demander s’il y a une place entre l’avion et le TGV dans le paysage de la mobilité française. Les chiffres les plus farfelus sont avancés sur le coût de ce mode de transport. Pour ses promoteurs, il serait inférieur d’au moins 30 % par rapport à un TGV. Or, ces chiffres sont infondés et même Sébastien Gendron, le patron de Transpod, évalue entre 25 millions et 30 millions d’euros le kilomètre ! Un prix semblable aux lignes de TGV les plus onéreuses. Et surtout, avec beaucoup moins de capacités et aucun raccordement aux réseaux de transport. D’autres évaluations évoquent plutôt une fourchette comprise entre 50 et 60 millions d’euros au kilomètre. Au conseil régional de la Nouvelle Aquitaine, les élus verts évoquent un coût de 30 milliards d’euros pour relier Limoges à la Capitale.

Rien n’est encore indiqué sur la consommation d’énergie d’un tel mode de transport, mais la propulsion et la sustentation électromagnétique sont très énergivores. Techniquement, les premiers essais n’ont pas permis d’atteindre 400 km/h, - 387 km/h très exactement sur une piste de 500 mètres - bien en dessous du record du monde du TGV français sur rail de 574,8 km/h ou du Maglev japonais, ce train à sustentation électromagnétique (déjà) qui a atteint 603 km/h en 2015 pendant 10 secondes mais son coût est très élevé. 70 milliards d’euros pour relier Tokyo à Nagoya en 2027 à la vitesse de 500 km/h, soit 286 kilomètres en 40 minutes.

Pas de ligne commerciale avant 2035 ou 2040

"On nous présente cette technologie comme révolutionnaire, alors qu’elle existe déjà en Allemagne et au Japon", prévient Jean-Louis Pagès, conseiller régional de la Nouvelle Aquitaine (EE-LV). "Nous sommes dans le showbiz et la communication. En tant qu’élu, mon problème n’est pas de tester une technologie mais de bien utiliser l’argent public."

À l’Usine Nouvelle, Sébastien Gendron a tenu à clarifier les choses. "Il n’y a pas suffisamment de population à Limoges pour justifier une ligne qui relierait Paris." Mais elle pourrait faire partie d’une ligne plus importante à partir de Toulouse. Il dénonce les annonces précipitées qui évoquent déjà une ligne commerciale dans moins d’une dizaine d’années. "La première ligne commerciale transportera d’abord du fret avant d’embarquer des passagers", prévient Sébastien Gendron. "Les lignes avec des voyageurs se développeront entre 2035 et 2040, pas avant. Il faudra résoudre le problème du coût et savoir quelles villes desservir. Il faut construire des gares. Certaines pourraient s’arrêter à Limoges, d’autres relier, par exemple, directement Paris à Toulouse. Nous sommes plus sur la fréquence d’un métro avec la vitesse d’un avion."

"C’est trop dangereux", prévient Jean-Louis Pagès, qui dispose d'une formation d’ingénieur électronique. "S’il y a un trou dans un tube, il y aurait une dépressurisation totale, et le choc serait terrible. Il ne resterait plus que de la bouillie. Et que fait-on en cas de panne avec des voyageurs bloqués dans une capsule? Autre question : comment l’être humain peut supporter un voyage dans un tube opaque à 1 200 km/h? Il y a le problème de l’accélération, ce sont les montagnes russes." Aux entreprises qui développent les projets de prouver le contraire. En terme d’environnement, un tel projet nécessite de limiter les courbes et les montées. Il faut donc araser les collines. Mais c’est surtout le modèle qui pose question pour ses détracteurs.

La course à l’échalote

"La force d’un mode de transport, c’est de pouvoir s’insérer dans un système, comme le TGV qui relie des grandes villes à des villes plus modestes", analyse Eric Vidalenc, universitaire, spécialiste de l’énergie et de la mobilité et conseiller scientifique de Futuribles international. "A quoi cela va servir de faire Lyon – Saint-Etienne en Hyperloop ? C’est une infrastructure totalement fermée et son coût est bien supérieur à ceux qui sont avancés, surtout que l’on transporte trois fois moins de personnes qu’avec un TGV.  Je ne vois pas comment l’équation peut tenir. On est plutôt sur une démarche de R&D. D’ailleurs, Sébastien Gendron ne survend pas son projet. Il parle d’un centre de recherche. Or nous sommes confrontés à des démarches assez agressives de drague des collectivités et de mise en concurrence des territoires C’est la course à l’échalote pour savoir qui va sortir le premier. Pourtant, on ne verra pas de ligne en service avant 20 ans, dans des régions plates au milieu des déserts. En France, on a un relief accidenté avec un réseau de transport et une population denses. C’est vraiment le dernier pays où l’on peut penser qu’Hyperloop verra le jour."

 


Spacetrain, le retour de l’aérotrain
Spacetrain, c’est le nom d’un projet concurrent d’Hyperloop et de la start-up qui entrevoit déjà des premiers tests dans 18 mois. Il reprend le projet de Jean Bertin qui devait relier Paris à Orléans et qui a été abandonné en 1977. Il atteignait 422 km/h en essais dès 1969 et établira un record du monde à 430 km/ en 1974. "Aujourd’hui, avec la modernisation des technologies, ce projet avant-gardiste arrive à maturation", estime Emeuric Gleizes, le patron de l’entreprise Jacques Vaucanson qui travaille dans la robotique et qui a développé Spacetrain. "Nous nous positionnons sur des trajets de distance moyenne jusqu’à 300 ou 400 kilomètres : Paris – Le Havre, Paris – Orléans, Montpellier – Toulouse." Il évalue le coût du kilomètre à 6 millions d’euros contre 50 millions pour Hyperloop. Là, il s’agit d’une navette sur coussin d’air et avec un rail en béton. Ce nouvel aérotrain fonctionnerait à l’hydrogène avec des piles à combustible sur le toit. La start-up est déjà en contact avec des industriels pour développer un prototype capable d’embarquer 40 personnes. Siemens pourrait fournir le moteur à induction et Dassault Systèmes, les logiciels de calcul. Cet aérotrain, qui transportera à terme 250 personnes, pourrait être testé à partir de 2019 ou 2020 sur une portion du rail en béton entre Saran et Chevilly (Loiret) sur 9,6 kilomètres. Il faudra tout de même investir 8 à 10 millions d’euros pour commencer les essais. Et Emeuric Gleizes assure que le projet sera prêt à être vendu en 2022. Avec peut-être une première ligne commerciale en 2025 qui roulerait à 600 km/h…

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