Power-to-gas: mea culpa

Il n’y a que les sots qui ne changent pas d’avis. Mon opinion franchement négative sur le power-to-gas a évolué, et si je reste prudent je suis désormais convaincu que cette technologie, ou plutôt ensemble de technologies, a un rôle à jouer. Voici pourquoi.

Et d’abord, je me suis bien planté en critiquant « l’efficacité » de la réaction de Sabatier. J’ai en effet écrit ceci: « On dissocie l’hydrogène de l’eau à grand frais… dont une moitié va finir en méthane, et l’autre moitié redevient de l’eau! « . Implicitement, j’en tirais l’idée d’un gros gâchis, suggérant que l’efficacité énergétique de l’opération dans son ensemble est faible, en tout cas inférieure à 50%. Or, ce n’est pas le cas. L’essentiel du potentiel énergétique du dihydrogène se retrouve in fine dans le méthane disponible à la fin de la réaction, dont le carbone et l’hydrogène sont tous deux combustibles, ce qui n’est pas le cas de l’hydrogène de l’eau.

En effet, il faut comparer l’énergie d’une masse molaire de méthane (16 g/mol) à celle de quatre masses molaires de dihydrogène (2g/mol). Sur la base des pouvoirs calorifiques inférieurs (49,85 MJ/kg pour CH4, 120 MJ/kg pour H2, on peut calculer l’efficacité théorique maximale de l’opération E = 16*49.58/4*2*120=83%. Dans un système réel avec environ 10% de pertes on arrive à une efficacité réelle d’environ 75%.

Il n’en reste pas moins que l’efficacité de la production de méthane de synthèse, compte-tenu de celle de l’électrolyse, est globalement assez faible, mettons 70% x 75% soit 52.5%. Si c’est pour « revenir » à l’électricité, en clair la stocker, le rendement global ne va pas dépasser 52.5%*60% soit 31.5%. Beaucoup moins efficace qu’une batterie ou qu’une station de pompage hydraulique, avec des rendements entre 70% et 95%. Si c’est pour chauffer un logement, même avec une bonne efficacité dans l’appareil de chauffage, genre 85%, le système d’efficacité totale environ 45% soutient difficilement la comparaison avec une pompe à chaleur, dont le coefficient de performance va se balader entre 2 et 5 – comme s’il avait une « efficacité » de 200 à 500%.

Et pourtant, malgré ces efficacités faibles, on peut trouver des utilisations sensées. Le stockage d’électricité de très longue durée, par exemple, car le coût de l’immobilisation de batteries pendant des semaines ou des mois serait pharamineux, plusieurs ordres de grandeur au-dessus de celui du stockage de méthane. En réalité, s’il y a ici des concurrents au méthane de synthèse dans ce rôle, ce sont plutôt le dihydrogène lui-même, compressé dans des cavités souterraines, ou l’ammoniac, dont la densité énergétique de 16,4 MJ/l à l’état liquide (à -33°C) n’est pas tellement moindre que celle du méthane liquéfié (22,4 MJ/l mais à -161°C).

Et encore, le stockage, la distribution et l’utilisation de méthane de synthèse dans les réseaux de gaz actuels, afin d’écrêter les pointes de demande d’électricité liées au chauffage, durant les pics de froid. Ce sont aussi les moments durant lesquels les pompes à chaleur sont moins performantes, surtout celles du type aérothermique, les plus faciles à installer dans les centres urbains denses, ceux-là même où les réseaux de gaz sont le plus répandus. Le schéma ci-dessous illustre les variations saisonnières des divers vecteurs énergétiques au Royaume-Uni.

Source: Grant Wilson, Sheffield University

On voit bien à quel point les variations de la demande de gaz naturel sont plus amples que celles de l’électricité. Si celle-ci devait fournir toute la chaleur, même avec des pompes à chaleur, il faudrait assez considérablement augmenter le système électrique, en puissance hivernale (et à peu près garantie, donc pas que de l’éolien ou du solaire), en transport et en distribution. C’est pourquoi sans doute le Comittee on Climate Change, dans son rapport sur l’hydrogène, préconise l’installations de systèmes hybrides, pompes à chaleur électriques la plupart du temps et brûleurs d’hydrogène durant les pointes de froid.

Oui mais alors, hydrogène ou méthane de synthèse? Dans les deux cas, on parlera bien de « power-to-gas ». Car la source ne saurait être autre qu’électrique (et le carbone, indispensable au méthane, ne saurait être autre qu’atmosphérique, éventuellement par le truchement de la photosynthèse et de la biomasse). Si  je n’ai rien contre la capture et le stockage du CO2 dans la production d’hydrogène à partir du gaz naturel, prétendre faire dans ce cas de la capture et de l’utilisation du CO2, par recombinaison avec… l’hydrogène, est bien une proposition absurde, consistant à défaire puis refaire du gaz avec du gaz: intérêt climatique nul.

Mais je reviens à la question: hydrogène ou méthane de synthèse, dans les actuels tuyaux de gaz? Eh bien… cela dépend de l’adaptabilité des réseaux et utilisations actuelles à l’hydrogène pur, un sujet pas mal renseigné dans le rapport de l’AIE sur l’hydrogène à paraître à a mi-juin. On en reparlera!

 

6 réflexions sur « Power-to-gas: mea culpa »

  1. Charles monneron

    Bonjour,
    Le carbone n’est pas forcément d’origine atmosphérique. En électrolysant l’eau de mer, on l’acidifie et on peut donc extraire le gaz carbonique dissous dans des proportions stœchiométriques pour la réaction de Sabatier
    Voir par exemple le dispositif suivant développé par la marine américaine (qui veut faire du kérosène de synthèse pour ses avions embarqués). https://www.hydrogen.energy.gov/pdfs/review18/ia018_willauer_2018_p.pdf

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    1. Cédric Philibert Auteur de l’article

      Merci pour votre commentaire et ce document très intéressant! En effet, l’extraction du CO2 de l’eau de mer est une piste intéressante pour la production au large de méthanol et de carburants de synthèse, d’autant qu’il faudra déjà dessaler l’eau de mer avant de l’électrolyser pour faire de l’hydrogène…

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  2. Xavier MOREAU

    Si « on devait fournir toute la chaleur avec des pompes à chaleur » d’un COP de 3, il faudrait trois fois moins d’énergie. De plus la demande de gaz du Royaume-Uni illustrée ci-dessus inclut le gaz brûlé par des CCGT pour de l’électricité consommée par des chauffages électriques (donc comptée 2 fois).
    Le besoin de chaleur peut être fortement réduit par l’isolation des bâtiments.
    Enfin, au cours d’une journée, le système électrique n’est utilisé à sa pleine capacité que quelques heures. Le reste du temps (la nuit, l’après-midi, …) il pourrait être utilisé à pleine puissance pour alimenter les PAC. En profitant de l’inertie thermique des bâtiments et des ballons d’eau chaude tampon, le besoin de chaleur pourrait être lissé et décalé à ces heures creuses.

    N’y aurait-il donc pas une alternative PAC+isolation pour avoir beaucoup de marge pour répondre au besoin de chaleur avant de considérablement augmenter le système électrique ou d’avoir recours au power-to-gas?

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    1. Cédric Philibert Auteur de l’article

      Merci Xavier pour ce commentaire éclairé. Je pense qu’il est difficile de se prononcer définitivement et de manière générale sans regarder les coûts de très près. Ce n’est pas un cas évident d’utilisation de l’hydrogène faute d’autre solution, c’est un cas où un usage modéré d’hydrogène peut se trouver pertinent en complément de l’électrification… et de l’isolation thermique!

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  3. Etienne BOUCROT

    Bonjour,
    Concernant l’arbitrage entre gaz de synthèse, il ne faudrait pas négligé un fait majeur : les quantités d’hydrogène qu’il serait possible de stocker pour des longues durées sont fort limitées. En cause, la densité volumique, 4 fois moins faible que le méthane dans les réservoirs souterrains à la pression nominale de 100 bars. De plus, il n’apparait pas possible d’utiliser tous les types de réservoirs : seul les roches salines conviennent. Ainsi, il ne reste pas grand chose des 1 200 TWh th des réservoirs souterrains européens actuels …
    Difficile dans ces conditions de bâtir une « Civilisation de l’Hydrogène ».
    L’Hydrogène est depuis trop longtemps porté au nues par un lobby qui ne tient pas compte des réalités scientifiques.
    Ainsi donc, le méthane de synthèse apparait comme le plus adéquat , le plus polyvalent des vecteurs énergétiques stockables pour les usages chaleur et back-up.
    C’est l’hypothèse que j’ai retenu dans le document de prospective énergétique « Deep Defossilization Pathway » que l’on peut trouver sur le site internet NCSH : http://www.ncsh.eu/language/fr/accueil/

    En quoi l’ammoniaque pourrait-il lui être supérieur ? Est-il moins couteux à stocker ?

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    1. Cédric Philibert Auteur de l’article

      Je continue d’avoir une difficulté à comprendre l’intérêt du méthane de synthèse dans un monde où 95% de l’hydrogène vient du réformage du gaz naturel… à quoi bon réformer si c’est pour re-former? Et il faut trouver beaucoup de carbone de l’atmosphère, par capture direct ou dans la biomasse, si on en espère un bénéfice climatique. Mais pour répondre à votre question, l’ammoniac est infiniment moins coûteux à stocker que l’hydrogène « en surface », liquéfié ou comprimé. L’ammoniac est liquide à -33°C, l’hydrogène à -253°C, la différence est énorme, et pourtant l’ammoniac liquide contient 70% plus d’hydrogène que l’hydrogène liquide (par unité de volume). Seul le stockage d’hydrogène comprimé dans des cavités (notamment salines, mais d’autres peuvent éventuellement convenir) est réellement envisageable.

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