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Dossier: Revisitar a Pneumónica de 1918-1919

La grippe espagnole : une historiographie centenaire revisitée

Gripe espanhola: uma historiografia centenaria revisitada
The Spanish flu: a century-old historiography revisited
Frédéric Vagneron
p. 21-43

Resumos

A história da gripe espanhola (1918-1919) constitui um caso exemplar da renovação do questionário dos historiadores sobre um evento passado. Várias renovações historiográficas têm modificado a interpretação desta pandemia desde os anos 1970. Este artigo percorre essas diferentes abordagens, que têm conferido ao evento uma pluralidade de significados, com base no recurso a tipos de documentação diferentes. Distinguem-se três etapas: primeiro, a construção de um acontecimento catastrófico com carácter global a partir de um mosaico de estudos de casos locais; depois, a fragmentação desse acontecimento sob o prisma das experiências individuais e do contexto da Grande Guerra; finalmente, a gripe “espanhola” como um episódio mais na história longa desta doença. Estas sucessivas fases estão associadas às próprias mudanças no modo como as sociedades se têm relacionado com as ameaças infecciosas desde 1918. O que está em causa neste debate historiográfico e na sua recepção é o modo como se conta o passado e como se mobiliza o seu significado no presente.

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Notas da redacção

Este artigo faz parte do dossier temático Revisitar a Pneumónica de 1918-1919, organizado por Laurinda Abreu e José Vicente Serrão.
This article is part of the special dossier Revisiting the Influenza Pandemic of 1918-1919, edited by Laurinda Abreu and José Vicente Serrão.
Cet article fait partie du dossier Revisiter la Grippe Espagnole de 1918-1919, organisé par Laurinda Abreu et José Vicente Serrão.

Texto integral

  • 1 Rappelons que l’adjectif « espagnole », indiquant l’origine supposée de l’épidémie au printemps 191 (...)

1Photographies de soldats américains grippés dans des baraquements bondés à l’automne 1918, récits dramatiques de victimes de la grippe et témoignages de leurs proches, impuissance et héroïsme des médecins confrontés à des cas désespérés, personnalités célèbres ayant succombé à la grippe, photographies au microscope électronique du virus de la grippe de 1918, chiffres édifiants d’une pandémie ayant causé entre 50 et 100 millions de morts… Quelle que soit la langue, rechercher « grippe espagnole »1 sur un moteur de recherche internet donne le vertige : celui d’ouvrir une boite de Pandore d’où surgit une avalanche de sources et où se télescopent les savoirs historiques comme biologiques. Survenue il y a un siècle, la grippe espagnole se démultiplie désormais dans les lieux, les temps et les chiffres d’un événement catastrophique global.

2Les historiens se sont saisis plutôt tardivement de la grippe espagnole à partir de la fin des années 1970, en comparaison des médecins, épidémiologistes et microbiologistes qui, dès 1918, ont été confrontés à l’énigme médicale de cette pandémie. Dès les années 1980, le questionnement des historiens a été influencé par la demande d’histoire et de « leçons du passé » sur les épidémies. Celle-ci a traduit le nouveau rapport pessimiste face aux menaces infectieuses, inauguré avec la pandémie de VIH-SIDA. Reléguées à des vestiges effrayants du passé par la médecine « moderne », le nouvel arsenal thérapeutique des antibiotiques, et l’amélioration des conditions de vie, les pandémies sont revenues dans le quotidien et l’imaginaire de nos sociétés, et même dans leur futur annoncé (Lakoff 2017). Dans cette préparation de scénarios pour anticiper le pire, la grippe de 1918 fourni un modèle et un répertoire de sources exceptionnels. L’accessibilité inédite de documents historiques digitalisés et les nouvelles inquiétudes face aux maladies « émergentes » masquent néanmoins la spécificité du travail de l’historien : la question historique qui commande une collecte réglée des sources. En effet, cette profusion des sources cache « la place variable des lacunes » (Veyne 1996, 289). S’engage ainsi « une lutte contre l’optique imposée par les sources » (idem, 295) car, pour l’historien, comme le rappelle Lucien Febvre (1943, 8), « pas de problème, pas d’histoire. Des narrations, des compilations ».

3Cet essai analyse » l’allongement de la liste des questions » des historiens au cours du temps concernant la grippe espagnole. Il permet de se confronter à l’évolution des sources utilisées et des questionnements, constater le rendement interprétatif et les points aveugles associés aux différentes approches historiographiques, et leur réception variable dans les discours publics. Cet essai met en perspective les usages de l’histoire de la grippe espagnole aujourd’hui, au moment où, dans un apparent paradoxe, l’événement « grippe espagnole » n’a sans doute jamais été aussi présent malgré le morcellement des études historiques. L’historiographie de la grippe espagnole permet d’aborder des questions cruciales pour la pratique de l’histoire : celle des modalités de production du savoir historien par le renouvellement des questions et des sources ; celle de l’usage par les historiens de catégories d’analyse et de concepts (événement, épidémie, ou maladie infectieuse) pour interpréter le passé ; celle, enfin, de la place de l’historien professionnel et de son récit par rapport à d’autres mobilisations du passé dans la bataille incessante, et toujours d’actualité, pour dire et décrire un temps révolu, dont les historiens n’ont pas le monopole. Loin d’être la propriété exclusive des historiens, d’autres disciplines scientifiques comme la virologie ou l’épidémiologie, mais aussi la mémoire des témoins, ont contribué à façonner l’histoire de la grippe espagnole. L’interprétation de l’historiographie est indissociable des relations qui s’établissent entre les discours des historiens et ces autres discours sur le passé.

  • 2 Nous utilisons épidémie et pandémie comme des synonymes, bien qu’une pandémie corresponde à une épi (...)

4Certaines questions apparaissent continûment dans la littérature sur la grippe espagnole à l’intersection de ces différents investissements : les origines et la propagation de la grippe ; la mortalité provoquée ou attribuée à son passage ; la réponse sociale à la pandémie ;2 la relation entre la pandémie et la guerre. Traitées à partir d’informations et de savoirs hétérogènes, certaines de ces questions prennent temporairement le dessus sur d’autres. D’autres questions sont apparues plus tard au cours du 20e siècle, conséquence de la distance temporelle avec l’événement : par exemple celle de « l’oubli » de l’épidémie dans la mémoire collective, hypothèse avancée par l’historien américain Alfred Crosby (1976) ; ou celle de la place de la grippe espagnole dans le temps long de l’histoire de la grippe et des maladies infectieuses.

5Comme l’a décrit l’un des pionniers de l’histoire de la grippe espagnole, l’historien sud-africain Howard Phillips (2004 et 2014), l’émergence d’une historiographie internationale de la grippe espagnole au cours du 20e siècle, peut être décrite par des strates interprétatives distinctes depuis les années 1920. Sans prétendre recenser l’ensemble de la littérature produite par les historiens, nous distinguons, dans cette revue grossièrement chronologique, quatre grands moments. Le premier correspond aux premières enquêtes historiennes, très ponctuelles, sur la grippe espagnole jusqu’aux années 1970. Le second moment consacre l’engagement des historiens à décrire une pandémie universelle conçue comme une mosaïque de catastrophes locales à l’échelle du globe. Plus récemment, les travaux historiques ont abordé l’épidémie comme une expérience multiple et morcelée, révélatrice des structures sociales des sociétés comme de la mobilisation de celles engagées dans la guerre mondiale. Enfin, une dernière approche historiographique a réinséré l’événement de 1918-1919 dans l’histoire plus longue, remontant à la fin du 19e siècle, des défis que cette maladie a posé et pose encore aux savoirs « modernes », aux interventions médicales et de santé publique, comme à l’histoire de ses malades.

1. Les premières enquêtes sur la grippe espagnole : le silence des historiens

6La première strate historiographique comprend les premières études sur l’épidémie de grippe espagnole, des lendemains immédiats de celle-ci jusqu’aux années 1960. Dans cette première et longue période, l’absence de la production de savoir sur l’épidémie par les historiens est notable. Une approche épidémiologique et médicale de l’épidémie domine. Cette première strate d’écrits sur l’épidémie de grippe espagnole est d’abord dictée par l’urgence du témoignage de spécialistes de la médecine et de la santé publique qui craignent le retour à brève échéance d’une épidémie, dont on n’explique ni le surgissement au début de 1918, ni la violence, ni la disparition. Le sens que l’on cherche à donner à l’épidémie relève du langage de la médecine et de la science de laboratoire, dans le sillage des découvertes de Pasteur et de Koch.

  • 3 Comme le remarque l’épidémiologiste américain W. T. Vaughan (1921, 3), auteur de la première enquêt (...)
  • 4 La littérature médicale distingue alors la première vague du printemps 1918, avec une forte morbidi (...)

7Malgré des tentatives pour organiser un recueil international des « impressions immédiates et des premières données recueillies sur le fléau » (Jorge 1919, 5), cette première vague de travaux ne produit qu’une connaissance limitée du déroulement événementiel de l’épidémie de 1918-1919, ce qui contraste avec la précédente épidémie de 1889-1890.3 Elle lègue en revanche des connaissances épidémiologiques et démographiques durables, comme la description de trois vagues épidémiques relativement distinctes entre le printemps 1918 et la fin de l’hiver 1919,4 ou la plus grande vulnérabilité des jeunes adultes à la grippe en comparaison des âges extrêmes de la vie. Cette première vague d’écrits médicaux et scientifiques est relancée par l’identification du virus de la grippe au début des années 1930, qui renforce la prépondérance des questions biologiques et médicales sur la recherche historique.

8Ce n’est qu’à partir de la fin des années 1950, avec la survenue d’une nouvelle pandémie grippale, que l’épidémie de 1918-1919 entre progressivement dans le domaine des historiens. La grippe dite asiatique de 1957, seconde pandémie grippale du 20e siècle, ouvre un second moment de la production scientifique sur l’épidémie de grippe espagnole. Par les inquiétudes qu’elle suscite, la pandémie de 1957 révèle le caractère limité des connaissances sur l’expérience des sociétés pendant la pandémie de 1918-1919, focalisées exclusivement sur ses aspects médicaux. Elle provoque un « réveil des mémoires endormies » (Phillips et Killingray 2003, 15) et un intérêt nouveau pour les dimensions sociales de la pandémie de 1918-1919. L’étude prend surtout la forme d’une narration d’un épisode dramatique, à l’instar de l’enquête de l’historien américain Adolph Hoehling (1961), qui revient sur l’épidémie de 1918-1919 à partir de journaux d’époque et de rapports scientifiques et médicaux. La grippe de Hong-Kong en 1968, troisième pandémie du siècle, suscite également un retour sur 1918. Charles Grave (1969) publie une première tentative de bilan international sur la grippe espagnole, à partir des pertes démographiques pour chaque pays et des mesures de protection sanitaires employées par les autorités. Quelques années plus tard, l’ouvrage de Richard Collier The plague of the Spanish Lady (1974) propose de revivre l’épidémie par le témoignage de ses contemporains : l’auteur compose une étude fondée principalement sur des archives orales redonnant vie à l’épidémie par le biais de ses victimes. Mais ces ouvrages se résument surtout à une chronique des événements.

2. La grippe espagnole comme mosaïque mondiale de catastrophes locales

9Le changement d’approche des historiens vis-à-vis de la grippe espagnole intervient au début des années 1970. Il correspond à l’apparition d’une histoire de la pandémie s’éloignant d’un questionnement exclusivement médical, événementiel et dramatique. Elle traduit un changement de configuration entre les disciplines des sciences sociales et l’objet médecine qui apparaît à cette époque et modifie l’orientation des recherches sur l’épidémie. Ce renouvellement de l’approche de la médecine et de la santé dans le champ des sciences sociales, porté par une dimension critique, se constate à une échelle internationale. On voit apparaître une nouvelle histoire sociale de la médecine (Huisman et Warner 2004, 2) et une histoire environnementale, qui ne sont plus seulement le fait des spécialistes mais parties intégrantes d’une discipline historique qui élargit ses objets aux mentalités et bientôt aux représentations, aux rapports dynamiques entre les savoirs et les populations qui n’en sont plus une cible passive, et à la pratique sociale des sciences.

10Cette tendance se répercute sur l’histoire de l’épidémie de 1918-1919. Dans cette nouvelle histoire de l’homme et de son environnement, l’ouvrage de William McNeill fait date en proposant de “considérer l’homme comme prisonnier d’un équilibre précaire entre le microparasitisme des organismes pathogènes et le macroparasitisme des gros prédateurs, au nombre desquels il doit compter ses congénères” (McNeill 1978, 11). L’épidémie de grippe espagnole est recensée par l’auteur comme l’un des épisodes de rupture de cet équilibre précaire entre l’homme et son milieu. Aux États-Unis, ces nouvelles recherches en sciences sociales sont stimulées par la nouvelle menace pandémique qui apparaît au début de l’année 1976. Un jeune soldat décède de détresse respiratoire à Fort Dix dans une unité militaire du New Jersey. Identifié comme un virus grippal A (H1N1), le choix des autorités de procéder à une vaccination massive de la population américaine (l’épidémie ne se propage finalement que de manière limitée dans la population civile) conduit à une crise politique. La presse s’empare de l’affaire dont le nom est popularisé par l’ouvrage de Neustadt et Fineberg (1978).

11Au même moment, l’historien américain Alfred Crosby publie le premier ouvrage de référence dans cette nouvelle perspective d’histoire sociale et politique. Dans Epidemic and Peace (1976), il étudie les conséquences sociales et politiques de l’épidémie aux États-Unis, débutée dans un camp du Middle-West et dont le président américain Woodrow Wilson est la victime au début de 1919 durant les discussions des modalités de la paix entre belligérants. Le contexte épidémique devient un élément pertinent pour questionner les événements politiques et militaires de 1918 et 1919, et même les dimensions humaines de la résolution de la Paix parachevée par le Traité de Versailles. Le livre remporte l’American Medical Writers’ Association award for the Best Book on a medical Subject for laymen. Le renouvellement des objets de l’histoire et des sciences sociales à partir des années 1970 marque fortement l’étude de cette épidémie : elle se trouve désormais intégrée au champ des études d’histoire sociale de la médecine. Cette étape est aussi décisive quantitativement : en 1998, Phillips (2003, 19) estime qu’environ 80% des ouvrages traitant de l’épidémie de 1918-1919 ont été publiés depuis 1974.

12Cette nouvelle actualité est renforcée par le retour d’une menace infectieuse dans les pays les plus développés. Bien davantage que les pandémies grippales de 1957 et 1968, la pandémie de VIH-SIDA frappe les sociétés occidentales et leurs imaginaires au début des années 1980. L’impuissance initiale des scientifiques à identifier le virus de la maladie, l’incertitude quant aux modes de propagation de l’épidémie, les réactions publiques de stigmatisation des malades, posent avec une nouvelle urgence le problème de la survenue d’une pandémie, qui rompt avec le sentiment de sécurité face aux maladies infectieuses du passé, renforcé après 1945 par le succès des antibiotiques. L’épidémie stimule l’intérêt des historiens et la demande sociale de connaissances sur les « grandes peurs » passées (Bardet et al. 1988), à mesure qu’est ébranlée la conviction dans les progrès indéfinis en matière de santé et de lutte contre les épidémies. De manière révélatrice, les Cambridge University Press rééditent en 1989 le livre de Crosby soulignant le précédent de la grippe de 1918-1919 : The Forgotten Pandemic (1989).

  • 5 Comme le continent africain, l’Inde, l’Indonésie, etc. – voir, par exemple : Patterson (1981 et 198 (...)

13Les années 1980-1990 correspondent à une période de développement historiographique et de morcellement des études sur la grippe espagnole. Les études régionales et locales, consacrées à des espaces de la planète où l’épidémie était jusqu’alors peu documentée, se multiplient.5 Cette multiplication des espaces d’investigation s’exprime par des enquêtes locales, régionales, urbaines, attachées à des courants historiographiques déjà constitués en histoire, comme les études urbaines ou coloniales. Ce décollage historiographique pose le problème de l’émiettement de la connaissance et de sa pertinence, avec, dans le domaine de l’histoire de la santé, la concurrence d’une histoire traditionnelle sur le modèle d’une bataille victorieuse des hommes contre la maladie. La rareté des études comparatives entre les pays face à l’épidémie, qu’appelle pourtant cette focalisation locale, apparaît nettement à la lumière de quelques exceptions. Ainsi, l’ouvrage dirigé par Jay Winter et Jean-Louis Robert (1997) intègre l’épidémie de 1918-1919 dans l’étude comparée des expériences de guerre de Paris, Londres et Berlin. Dans une perspective d’histoire urbaine, l’ouvrage collectif sous la direction de Fred van Hartesveldt (1992) tente également ce comparatisme, mais la grande hétérogénéité des contextes de l’épidémie et des approches historiennes rend difficile la synthèse par accumulation d’enquêtes. À l’éparpillement géographique des terrains d’enquête s’ajoute un éclatement des perspectives disciplinaires en sciences sociales, entre géographie, anthropologie, démographie et histoire.

14En 1998, le colloque organisé au Cap pour le quatre-vingtième anniversaire de l’épidémie dresse le constat de cette absence de synthèse internationale dans l’historiographie, que la réunion entend combler (Phillips et Killingray 2003). Le colloque constitue la première tentative d’un panorama complet des recherches historiques sur la grippe espagnole. Les « nouvelles perspectives » décrites et réclamées par les auteurs entrelacent études épidémiologiques, démographiques et historiques, en prenant soin d’apporter des éclairages sur tous les espaces du globe et d’initier un dialogue entre historiens et spécialistes des sciences biomédicales. Centré sur la pandémie de 1918-1919 mais en incluant les conséquences démographiques de longue durée de l’épidémie, le colloque se distingue par une approche interdisciplinaire des différents contextes étudiés. La contribution la plus nette de ce colloque est l’effort collectif des historiens pour évaluer le bilan de la mortalité provoquée par la pandémie à l’échelle mondiale.

15La multiplication des recherches aboutit à une réévaluation continue de la mortalité provoquée par la grippe espagnole. Alors que la mortalité de la grippe a longtemps été appréciée à l’aune de celle de la guerre mondiale, l’internationalisation des enquêtes lui donne un ordre de grandeur inédit. De fait, les premières évaluations mondiales du bilan de la grippe ont eu lieu dans les années 1920. L’étude de l’américain Edwin O. Jordan (1927) constitue la première évaluation des dégâts de la pandémie. Jordan propose l’estimation de 21,6 millions de morts pour toute la durée de l’épidémie, pour une population mondiale évaluée à 1,8 milliards de personnes à l’époque. En 1935, le bactériologiste britannique Laidlaw, l’un des membres de l’équipe qui isole le premier virus grippal humain, considère le nombre de personnes ayant été infecté par le virus à 500 millions, provoquant 15 millions de décès. En 1976, Alfred Crosby reprend cette estimation, malgré l’enquête du démographe Kingsley Davis (1951) sur l’Inde et le Pakistan qui estime déjà le nombre de décès lors de la pandémie de 1918 à au moins 20 millions pour cette seule région.

16A partir des années 1980, les études concernant les espaces géographiques où les données statistiques sont plus lacunaires, contribuent à réévaluer le bilan. Entre 1980 et le début des années 1990, des études portant sur la pandémie dans les pays africains, asiatiques ou de l’Océanie sont publiées. L’article de Patterson et Pyle (1991) présente un nouveau bilan de la mortalité tenant compte des nouveaux résultats. Les auteurs estiment que la mortalité est comprise entre 24,7 à 39,3 millions de victimes, tout en penchant pour une estimation proche de 30 millions. Cette augmentation résulte d’un bilan presque doublé par rapport aux chiffres circulant antérieurement pour l’Afrique, la Russie ou l’Indonésie. Surtout, les estimations diffèrent de celle de Jordan concernant la Chine et l’Inde (Bangladesh et Pakistan compris). Respectivement, la mortalité est désormais évaluée dans une fourchette entre 4 et 9,5 millions, pour 400 à 475 millions d’habitants, et passe pour l’Inde de 12,5 millions selon Jordan à 17-18 millions de décès. Ces deux pays comptent désormais pour environ la moitié du nouveau bilan mondial. L’ordre de grandeur de la catastrophe sanitaire, mais aussi son ampleur mondiale, en sortent considérablement augmentés.

17Le dernier bilan mondial de la mortalité de la pandémie date de 2002 (Johnson et Mueller 2002). Il repose sur les études issues du colloque international de 1998. Les deux auteurs proposent une nouvelle fourchette de 50 à 100 millions de morts, se fondant sur de nouvelles données concernant la Chine. Cette dernière estimation, qui conclut à un taux de mortalité de 2,5 à 5% à l’échelle de la population mondiale, est une fourchette très large. La marge d’incertitude provient de l’impossibilité de se procurer des chiffres pour chaque pays, pour toutes les vagues de l’épidémie (les trois principales de 1918-1919 et celles qui ont pu exister au début des années 1920 dans certaines régions du globe), et de la difficulté de distinguer la surmortalité due à la pandémie grippale et aux surinfections bactériennes dans la mortalité. Le calcul de cette surmortalité est problématique vu les lacunes des données statistiques et la difficulté du diagnostic comparatif entre la grippe et d’autres maladies respiratoires. Il est effectué soit par comparaison avec les années antérieures pour la grippe et les autres causes de décès aggravées (la pneumonie et la broncho-pneumonie en particulier), soit en extrapolant pour des populations entières les chiffres obtenus pour des populations ciblées, en postulant un taux de mortalité équivalent. L’enquête aboutit à un bilan désormais multiplié par deux en comparaison des chiffres qui ont circulé pendant l’essentiel du 20e siècle.

18Le colloque de 1998 au Cap fournit un marqueur des transformations des questionnements historiens. À ce moment, le programme d’une histoire totale de la pandémie de grippe espagnole par accumulation de monographies locales, semble progressivement dépassé par d’autres questionnaires sur l’épidémie. S’il a produit indubitablement des effets de connaissance sur la pandémie en documentant une multitude de contextes locaux, dont le plus saisissant est la réévaluation constante de son bilan de mortalité, ce programme reste cependant dans une impasse, éprouvée dans d’autres domaines historiques, en partant de l’hypothèse selon laquelle « le savoir global progresse par accumulation de connaissances locales » (Lepetit 1999).

19L’émergence d’une histoire de la grippe espagnole par les historiens est donc tardive, principalement à partir de la fin des années 1970. Les enquêtes historiennes sur la pandémie décrivent un événement exceptionnel, apparu et disparu aussi abruptement, sans précédent, raconté selon la chronique événementielle d’une catastrophe au prisme des tentatives infructueuses des autorités politiques et médicales pour protéger les populations, en l’absence de moyens thérapeutiques spécifiques et de connaissance sur le virus. A partir du dénominateur commun de la mortalité, de l’impuissance des autorités sanitaires, et de l’échec des savoirs médicaux, les historiens accumulent des monographies locales, sans parvenir toutefois à composer une image d’ensemble de la pandémie au travers de ses scènes locales.

3. Le morcellement d’un événement : l’expérience de la grippe espagnole face à de nouveaux questionnements

20Depuis 1998, date qui coïncide avec l’apparition de la menace de grippe aviaire à Hong-Kong (1997) et l’émergence des politiques de préparation contre la survenue des pandémies, les recherches historiennes se singularisent par une diversification des approches vis-à-vis de cette pandémie et plus généralement de l’histoire de cette maladie. Longemps calquée sur la circulation mondiale des virus grippaux, la question de l’échelle de l’événement est problématisée à partir de multiples enquêtes qui complexifient le récit historique d’une pandémie universelle. En Amérique du Nord notamment, l’événement « grippe espagnole » a été abordé selon des problématiques renouvelées dans le cadre de l’histoire des communautés locales et des hiérarchies sociales que l’épidémie met à l’épreuve. Ces travaux historiques ont jeté une lumière nouvelle sur deux présupposés durables de l’historiographie antérieure de la grippe espagnole : celui de l’oubli de la pandémie dans la mémoire collective, généralement associé à un cadre d’étude national ; celui de la possible accumulation mécanique des contextes locaux éprouvés par la pandémie pour composer une histoire globale. En particulier, le souci de rattacher l’histoire de la grippe espagnole à l’histoire de la Grande Guerre a profondément modifié le récit de l’événement.

  • 6 On emploie ici le masculin par convention : un grand nombre des « historiens » ici cités sont des h (...)

21Malgré le succès de librairie de certains ouvrages encore focalisés sur un récit catastrophique et héroïque (Barry 2004), l’historiographie nord-américaine s’est montrée la plus offensive pour ébranler ce tableau de l’épidémie de grippe espagnole fourni par l’historiographie. Grâce à des sources locales particulièrement fournies, les historiens états-uniens et canadiens6 ont abordé la dimension politique de l’épidémie en étudiant les ressorts de la prise en charge des victimes au niveau local (Jones 2007 ; Bristow 2010, 2012 ; Fanning 2010). Face à l’impuissance médicale des élites, généralement masculines et Wasp, abondamment présentée dans l’historiographie, ces chercheurs montrent comment l’épidémie constitue une épreuve contrastée pour les communautés locales, ouvrant sur une histoire sociale de l’épidémie.

  • 7 Une question que l’on retrouve dans les territoires coloniaux – voir par exemple, pour la Rhodésie (...)

22Dans le cadre des études de Race and Ethnicity, ou encore des Gender Studies, cette historiographie montre que la gestion de l’épidémie a renforcé les inégalités sociales et politiques, contre l’hypothèse d’une grippe frappant uniformément les populations, corroborées par les seules statistiques de mortalité. En prenant en compte la morbidité et les effets de plus long terme de la maladie sur les familles et les communautés (y compris le deuil), les effets de la structure inégalitaire de l’accès aux soins apparaissent plus nettement (Herring et Korol 2012). L’impuissance médicale face à l’épidémie, résultant de l’absence de mesures de prévention et de secours décidées par les élites, laisse percevoir le fonctionnement inégalitaire des communautés nord-américaines, délaissant les minorités les plus vulnérables.7 Cette conclusion vaut certainement pour d’autres espaces, y compris en Europe (Mamelund 2006), et particulièrement dans l’espace colonial, mais les études font encore défaut. La survenue de l’épidémie fournit aussi un espace d’initiatives et d’actions pour des catégories de population socialement et politiquement dominées. Ainsi, le rôle des femmes se révèle crucial pendant l’épidémie en raison du départ des hommes mobilisés et des soins qu’elles apportent aux malades ou aux secours qu’elles organisent pour la collectivité.

  • 8 Un intéressant contre-exemple est fourni par l’étude de Myron Echenberg (2003) sur le Sénégal, alor (...)
  • 9 Dans une étude sur l’épidémie en Iran, Afkhami (2003) souligne l’importance de se déprendre de l’id (...)

23Cette historiographie affaiblit nettement l’idée d’une absence de mémoire collective de la pandémie. Elle montre qu’à l’échelle plus fine des communautés et des individus, les conséquences de longue durée de l’épidémie ont frappé durablement les trajectoires sociales.8 Or l’étude de la mémoire collective à l’échelle nationale a souvent négligé celles-ci en réduisant l’épidémie à une temporalité dramatique mais courte, en gommant les effets inégalitaires derrière la représentation d’un mal universel,9 et en privilégiant par exemple la construction de la mémoire de la Grande Guerre.

24Une autre direction de cette nouvelle historiographie a justement réévalué la question des relations entre l’épidémie et la Grande Guerre. Dès 1918, ces relations ont été soulevées, par exemple en comparant la mortalité provoquée par le conflit et celle de la pandémie. Dans quelle mesure la Grande Guerre pouvait être considérée comme une cause de l’épidémie, de sa propagation mondiale à cause des transports de troupe, mais aussi de l’ampleur de la mortalité ? La grippe espagnole a-t-elle participé à l’issue militaire du conflit en amenuisant les forces armées dans les camps ennemis ? Jusqu’à aujourd’hui, ces questions posées par les contemporains n’ont pas trouvé de réponse univoque.

25En fait, le questionnaire sur les relations entre la grippe espagnole et la Grande Guerre s’est trouvé reformulé par les historiens à partir des années 1990, en s’insérant dans le renouveau des études sur la santé et la médecine pendant le conflit. Plutôt que de discuter du caractère exogène ou endogène de l’épidémie par rapport à la guerre, le questionnement s’est organisé autour du rôle de l’expérience de la guerre dans celle de l’épidémie. Autrement dit, il ne s’agissait plus de discuter des relations entre l’épidémie et la guerre, mais d’étudier l’épidémie dans la guerre : dans quelle mesure l’expérience de guerre, dans ses composantes politique, scientifique et sociale, a-t-elle contribué à façonner celle de la grippe espagnole ? Par ce biais, l’événement a été questionné dans de multiples dimensions : par quels processus une épidémie est-elle détectée et l’alerte déclenchée ? Comment le risque sanitaire a-t-il été évalué en comparaison de celui que faisait courir celui de guerre, au moment de la reprise des offensives sur le front occidental, aussi bien par le commandement militaire, les soldats et leur famille, ou encore les médecins militaires ? Quel a été l’impact du contrôle de l’information et de la mobilisation des esprits dans l’expérience de l’épidémie ? Comment la fin de l’épidémie a-t-elle été déterminée et vécue ?

26L’historiographie française de la grippe espagnole fournit un bon exemple du cheminement de ces nouvelles questions. Le contexte de la Grande Guerre dans lequel intervient la grippe espagnole ouvre sur une première approche de l’épidémie : celle des politiques sanitaires mises en œuvre pendant le conflit. Patrick Zylberman et Lion Murard (1996) ont été les premiers à traiter de la grippe espagnole en France, à partir d’une enquête archivistique conséquente. Leur interprétation de la parenthèse sanitaire que constitue le premier conflit mondial dans la construction défaillante de l’hygiène publique nationale française se répercute sur leur récit de l’épidémie (Zylberman 2003). Les auteurs font en effet l’hypothèse d’un « privilège de la nation armée » pour expliquer les effets de l’épidémie dans le pays. Conséquence de la mobilisation massive du corps médical civil dans le service de santé militaire à partir de 1914 et de l’impératif de maintenir les effectifs militaires au front, la réponse médicale et sanitaire nationale a privilégié, avant comme pendant l’épidémie, la population combattante au détriment des civils. Ainsi, la guerre a pu jouer un effet de sélection indirect pendant l’épidémie, favorisant les militaires, en renforçant l’inégalité de l’accès aux soins pour les civils. L’hypothèse permet de resituer l’épidémie dans le contexte de la mobilisation du corps médical dans la guerre, en donnant un contenu historique concret à l’association traditionnelle de la guerre et de l’épidémie.

  • 10 Voir par exemple Mendelsohn (1998).

27Dans la perspective d’une histoire culturelle et sociale des sciences, Anne Rasmussen (2003) a abordé l’épidémie de 1918-1919 à partir de ses recherches sur la mobilisation scientifique, politique et culturelle, contre le risque infectieux pendant la guerre. La prophylaxie des maladies infectieuses établie par la médecine militaire y trouve une forme d’acmé, théorique et pratique, attestée par l’instauration de nouvelles régulations institutionnelles, de pratiques préventives de masse fondées sur l’expertise bactériologique, et d’un discours associant le risque infectieux à un ennemi invisible. Or, au moment où le discours médical déclare la « victoire » historique de la science dans la lutte contre les épidémies pendant la guerre, l’irruption de l’épidémie sur tout le territoire et l’impuissance manifeste des autorités sanitaires constituent un revers. Celui-ci se traduit pendant l’épidémie par l’incertitude scientifique et médicale face à cette épidémie qui échappe aux méthodes préventives éprouvées pour d’autres maladies, dans la population comme aux frontières. D’après l’historienne, en dérogeant aux mesures prophylactiques de la défense sanitaire, l’épidémie occasionne une reconfiguration de la notion de prophylaxie en France, également observée après-guerre dans les pays anglo-saxons.10

28La grippe espagnole n’a pas seulement été envisagée à l’aune des politiques sanitaires mises en œuvre ou de la reconfiguration du risque infectieux pendant la guerre. La chronologie généralement adoptée de l’événement, calquée sur les trois vagues épidémiques observées a posteriori, et sur le pic de mortalité de l’automne 1918, a été rediscutée. Le déroulement de l’épidémie peut être suivi précisément, du point de vue des acteurs historiques, grâce aux archives léguées par la guerre. Ainsi, Sophie Delaporte (2003) a étudié comment la grippe espagnole apparaît et est interprétée dans les rapports médicaux produits par les médecins mobilisés auprès des troupes. À partir de l’expérience directe de l’épidémie par les médecins militaires postés sur le territoire, l’enquête montre que l’épidémie se construit comme un événement pour les médecins militaires au fur et à mesure de son déroulement entre le printemps 1918 et l’hiver 1918-1919, grâce au travail interprétatif des médecins et de leur hiérarchie du service de santé militaire.

29L’interprétation du déroulement de l’épidémie, après une épidémie généralement bénigne au printemps, est ainsi sujette à des opinions très contrastées, loin de l’évidence d’un état d’alerte immédiat et généralisé. L’incertitude face à la nature, la gravité, et la propagation de l’épidémie devient une question clé permettant de déceler les mécanismes interprétatifs des contemporains et d’observer comment l’alerte reste confinée au milieu militaire du printemps à l’été 1918 (Vagneron 2015). Après le 11 novembre 1918, l’armistice et la démobilisation des médecins tarissent les sources sur le déroulement de l’épidémie, malgré sa poursuite jusqu’au printemps 1919. Contrairement à la précédente pandémie de grippe « russe » de 1889-1890, aucune enquête pour l’ensemble de la population ne fait le bilan de la grippe espagnole en France, révélant les lacunes concernant la situation dans la population civile, les débats scientifiques autour de la nature de la maladie, et la prééminence de la mémoire de la victoire nationale et du sacrifice « des morts au combat » (Vagneron 2017).

30Ce questionnement autour de la construction de l’événement grippe espagnole a été prolongé par Anne Rasmussen (2007, 172) dans le cadre plus général des « différents régimes de relation à la vérité, de la croyance à l’attestation scientifique » pendant la Grande Guerre. En étudiant les discours sur la grippe espagnole –des rumeurs à la presse générale et aux revues médicales– au travers des diverses controverses qui émergent durant l’épidémie, Anne Rasmussen montre comment les incertitudes entourant l’épidémie et la maladie s’intègrent dans un brouillage généralisé de l’information pendant la guerre, dont la censure de la presse n’est qu’une composante. Alors que le début de l’épidémie coïncide avec le retour de la guerre de mouvement au printemps 1918, la circulation et l’interprétation des informations est complexe. L’historienne montre comment l’événement grippe espagnole n’advient comme un événement unifié dans l’espace public que plusieurs mois après que les premiers cas de l’épidémie ont été observés par les militaires sur le territoire. Ce n’est en effet qu’avec l’aggravation de la mortalité à la fin de l’été 1918 et surtout les controverses scientifiques multiples qui apparaissent dans la presse spécialisée et généraliste, que les contemporains donnent a posteriori une unité à l’ensemble des observations accumulées depuis avril 1918.

31Si l’exemple de l’historiographie française est instructif des changements de questionnement, il est loin d’être unique. En traitant de l’épidémie de grippe du point de vue des militaires américains, le travail de Carol Byerly (2005) propose de manière exemplaire de morceler l’unité de temps et de lieu suivie par l’historiographie pour étudier l’épidémie. L’historienne rompt avec les enquêtes focalisées sur le territoire américain et donne une place significative au théâtre européen d’affrontement de la Première Guerre mondiale, où les Américains sont officiellement belligérants à partir d’avril 1917. En proposant une enquête sur deux sites géographiques, Byerly montre que l’armée américaine s’est trouvée confrontée pendant l’épidémie à des chronologies et des impératifs différents, parfois difficilement conciliables, entre la métropole et le théâtre militaire. En France et en Angleterre, l’épidémie est entrelacée dans les relations de l’American Expeditionary Force avec les forces alliées au moment du dénouement de la guerre, les relations complexes entre le commandement militaire et le service médical en Europe et aux États-Unis, et celles entre les autorités civiles et les autorités militaires. Ainsi, Byerly substitue à la chronologie linéaire de l’épidémie un récit où celle-ci apparaît successivement comme une question militaire américaine avec l’apparition de premiers cas durant l’hiver 1917-1918 dans les camps du Middle-West, avant de se dédoubler entre une épidémie en Europe et celle sur le territoire américain. Le pic de mortalité de l’automne intervient ainsi comme une phase, certes critique, d’un processus engagé depuis plusieurs mois, où se mêlent les considérations politiques, sanitaires, et militaires.

32Ces nouvelles tendances de l’historiographie ont ouvert des pistes novatrices pour aborder la grippe espagnole. A des échelles micro-historiques, il s’agit dorénavant d’aborder la grippe espagnole, non comme un événement circonscrit frappant dès son apparition les contemporains, mais comme une épidémie d’abord diffuse et incertaine, sujette à des interprétations controversées, dont les effets se sont conjugués avec les inégalités sociales internes au fonctionnement des différentes sociétés, et encore exacerbés par la mobilisation dans l’effort de guerre de 1914-1918.

4. La grippe espagnole comme épisode de l’histoire d’une maladie infectieuse

33D’abord construite comme un événement exceptionnel et catastrophique, re-interprétée à partir de questionnements liés à la Grande Guerre, l’épidémie de grippe espagnole a plus récemment fait l’objet d’une nouvelle série de questions. Celles-ci réintègrent la grippe espagnole dans l’histoire des maladies infectieuses, en replaçant l’événement dans une temporalité plus longue. Ces questionnements reviennent à se demander en quoi la grippe a connu une trajectoire historiographique singulière en comparaison des autres maladies, en particulier infectieuses, et dans quelle mesure la grippe espagnole constitue un moment décisif dans les transformations du problème représenté par cette maladie pour la santé publique ou les sciences médicales. Alors que la grippe espagnole avait fait l’objet de toutes les attentions des historiens, l’événement a été réintégré dans l’histoire des sciences médicales depuis la fin du 19e siècle et au cours du 20e siècle. Déjà fournie, l’historiographie britannique a été la plus prompte à explorer cette nouvelle direction de recherche.

34Mark Honigsbaum (2009 et 2013) et Michael Bresalier (2010 et 2013) ont ainsi adopté des questionnaires distincts pour traiter l’histoire de la grippe en Grande-Bretagne. Ils partagent néanmoins une périodisation incluant l’étude des deux pandémies de grippe russe (1889-1809) et espagnole (1918-1919). Mark Honigsbaum propose de traiter l’histoire de la grippe en étudiant comment cette maladie, marquée par la multiplicité de ses formes cliniques, fournit un observatoire pertinent pour analyser les frontières d’une maladie dont la modernité est immédiatement associée aux anxiétés de la société victorienne. Dans cette histoire médicale et culturelle, Honigsbaum décrit l’évolution des représentations médicales et populaires de l’influenza entre 1890 et 1920 comme le résultat conjoint de l’explosion de l’information journalistique démultipliant l’événement épidémique, de la pathologisation de la fatigue psychique provoquée par les trépidations et dangers de la vie urbaine, et de l’émergence d’une médecine de surveillance individualisant l’appréciation de l’état de santé. Dans ce contexte, la gestion de l’épidémie de grippe espagnole est indissociable de cette identité protéiforme de la maladie et de la politisation des émotions provoquée par la mobilisation culturelle de la Grande Guerre.

35Michael Bresalier aborde quant à lui la grippe « espagnole » sous l’angle de l’histoire des sciences et des transformations de l’identité médicale de la grippe, survenues après la pandémie de 1889-1890. La grippe « russe » provoque une première redéfinition des savoirs sur la maladie, à la faveur de nouvelles observations épidémiologiques sur la propagation de la maladie à l’échelle mondiale, et surtout des premières recherches bactériologiques qu’elle suscite. La découverte du bacille de l’influenza par Richard Pfeiffer en 1892, confirmée par les recherches des bactériologistes britanniques, permet de redéfinir la maladie comme contagieuse et infectieuse, catégories auxquelles elle échappait auparavant. Dans son récit, la période de l’Entre-deux-guerres constitue l’autre moment clé de la transformation de l’identité de la maladie en Angleterre, quand des chercheurs du Medical Research Council parviennent à étudier le virus de la grippe au laboratoire. La grippe espagnole et la Grande Guerre occupent ici une place essentielle mais transitoire dans la « virologisation » ultérieure de la maladie, en participant à la réorientation de la recherche médicale après-guerre. Si l’épidémie de 1918-1919 constitue une crise pour les savoirs bactériologiques, confrontés à de nouvelles hypothèses étiologiques à la suite des controverses autour du bacille de Pfeiffer, elle conforte l’organisation militaire de la recherche médicale pendant la guerre autour du laboratoire, utilisée comme modèle par les institutions civiles après-guerre.

36Ces deux recherches apportent donc un élargissement du cadre temporel concernant l’histoire de la grippe, en particulier en prenant en compte les transformations de l’identité de la maladie après la pandémie de grippe « russe », ce qui en retour permet de resituer la grippe de 1918-1919 dans une trame plus longue. Pour le cas français, notre contribution s’est également focalisée sur la construction de la grippe pandémique à partir de la grippe « russe » et jusqu’à l’Entre-deux-guerres. Dans cette périodisation qui intègre la grippe « espagnole » dans un long événement, la maladie apparaît comme une énigme pour les nouveaux savoirs médicaux issus du laboratoire (Vagneron 2015 et 2017). L’importance conférée par les médecins aux complications de la grippe, en particulier la pneumonie et la broncho-pneumonie, constitue un obstacle durable à la prise en compte de cette maladie protéiforme comme un problème à part entière pour la santé publique, y compris au niveau des statistiques sanitaires jusqu'au recours aux antibiotiques contre les complications bactériennes.

37L’historiographie américaine a aussi pris de nouvelles directions pour traiter de l’objet grippe au-delà de la grippe espagnole, dans le cadre de l’histoire des sciences. Dans une de ses études, John Eyler (2009) montre que l’épidémie offre un espace d’initiative aux communautés médicales dans la conduite des premiers essais de vaccination contre la grippe en 1918-1919 aux États-Unis, établissant les premiers standards pour la réalisation d’essais thérapeutiques contrôlés, malgré l’inefficacité des vaccins. John Eyler (2006 et 2010) a montré aussi l’importance de la crise provoquée dans la communauté scientifique par la grippe espagnole dans l’émergence des premières recherches de virologie aux États-Unis. L’inadéquation des savoirs bactériologiques révélée par l’épidémie a contribué à l’apparition de nouvelles approches en épidémiologie, comme les études sérologiques et l’essor d’une épidémiologie expérimentale afin de percer l’énigme de la susceptibilité des individus aux épidémies grippales.

38Enfin, dans le cadre d’une histoire de la santé publique nationale, George Dehner (2012) propose de retracer l’histoire de la trajectoire de la grippe au États-Unis au cours du 20e siècle. Si le pivot de son étude est le scandale provoqué dans le pays par la campagne de vaccination de masse contre la grippe de 1976, sur laquelle il a réalisé sa thèse, l’enquête prend pour origine chronologique la pandémie de 1918-1919. Loin de la pandémie oubliée décrite par Crosby, la grippe espagnole devient ici le point de départ d’une mobilisation nationale puis internationale, au sein de laquelle les chercheurs américains, en particulier les virologistes, sont des acteurs centraux. Ces derniers jouent en effet un rôle crucial en participant au dévoilement de l’étendue de la circulation des virus, à la lutte contre la maladie pendant la Seconde Guerre mondiale, ensuite surveillée par le réseau de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) créée en 1947 (Vagneron 2015). Partant de l’événement constitué par la pandémie exceptionnelle de 1918-1919, la grippe devient l’objet d’une histoire d’un problème public particulièrement sensible aux Etats-Unis, dont la Swine Flu Affair de 1976 est l’un des épisodes les plus retentissants. Cette histoire américaine de la grippe au cours du 20e siècle est d’autant plus stimulante qu’elle contraste fortement avec d’autres contextes nationaux. Ainsi, l’historien allemand Wilfried Witte (2006 et 2014), auteur d’une thèse sur la grippe de 1918-1919 dans le Land de Baden, montre comment en Allemagne la représentation de la grippe espagnole et la peur de la grippe pandémique sont largement absentes jusqu’aux années 1990.

5. Conclusion

39Depuis la première conférence internationale du Cap en 1998, la demande sociale et politique d’expertise historique concernant la préparation à des pandémies grippales n’a cessé de prendre de l’ampleur au niveau national et international. Le paradigme des maladies émergentes (King 2004), élaboré à la fin des années 1980, a contribué à renforcer l'injonction institutionnelle à tirer les leçons du passé, pour se préparer à des catastrophes d’origine infectieuse, « naturelle » ou terroriste, et sensibiliser les populations à ces nouvelles menaces. Dans ce contexte, les estimations de la mortalité lors de grippe espagnole publiés en 2002 (Johnson et Mueller 2002) ont par exemple connu une circulation exceptionnelle, dans les milieux experts comme dans la presse généraliste, malgré leurs fortes incertitudes.

  • 11 En 2008, un colloque à lInstitut Pasteur a donné lieu à la publication d’une ouvrage réunissant de (...)

40L’organisation de nombreux colloques internationaux sur l’histoire de la grippe espagnole montre les différentes approches pour se saisir de ce passé.11 Le colloque international de 2010 au Statens Serum Institut de Copenhague est exemplaire de la diversité des approches que permet cet événement, sans nécessiter l’expertise des historiens (Miller et al. 2011). Manifestation organisée par des épidémiologistes traitant d’un matériau historique, un seul participant propose une démarche historienne (Mark Honigsbaum). Les épidémiologistes investissent ici le champ historique pour tenter de décrire, grâce aux données de mortalité disponibles mais souvent lacunaires, des variables comme le taux de reproduction des épidémies du passé, ou tenter de tester l’efficacité des mesures prophylactiques utilisées historiquement.

  • 12 La séquence de la première protéine a été publiée en 1999, de la seconde en 2000.

41La grippe espagnole constitue également un défi auquel les virologistes se sont confrontés, en cherchant à percer l’énigme de l’histoire naturelle du virus de 1918. Le succès de l’isolement puis de la reconstruction du génome de ce virus constitue une avancée remarquable, qui a donné lieu à plusieurs ouvrages sur les chasseurs de virus (par exemple : Kolatta 1999). Après plusieurs échecs dans les années 1950, une équipe de virologistes américains dirigée par Jeffery Taubenberger (Armed Forces Institute of Pathology, Bethesda, USA) est parvenue à reconstruire la séquence entière de l’ARN viral.12 Plusieurs hypothèses sur l’origine du virus de 1918 ont été évoquées : y a-t-il eu passage par un hôte intermédiaire, comme le porc ? Le virus a-t-il muté d’une souche aviaire créant un réassortiment transmissible à l’homme ? Plusieurs théories plausibles ont été exprimées sans qu’aucune ne l’emporte. Cette mutation est-elle survenue en Chine, selon une théorie traditionnelle des épidémies venant d’Orient, réactualisée par les informations contemporaines sur la grippe aviaire ? Ou aux États-Unis, théorie généralement acceptée, dans le camp de Fuston où des cas sont signalés dès l’hiver 1917-1918 ? Ou encore en Europe, dans le camp d’Etaples, comme l’avance l’équipe britannique du professeur Oxford en s’appuyant sur des données médicales de l’époque signalant une augmentation du nombre de bronchites et de grippes aiguës dès 1916-1917, dans un camp militaire concentrant des milliers d’hommes et d’animaux ? Ces questionnements phylogénétiques présentent une pertinence scientifique certaine pour leur discipline et pour les savoirs qu’ils pourraient donner sur l’histoire naturelle du virus de la grippe (Morens et Taubenberger 2006). Mais ils peuvent difficilement directement impliquer les historiens.

42Dressé dans cet essai, le bilan des tendances récentes de l’historiographie de la grippe espagnole montre l’importance du travail effectué depuis la première synthèse lors du colloque de 1998. Les premières strates de l’historiographie internationale avant 1998 ont laissé place à de nouvelles perspectives, certes plus difficiles à intégrer à des « leçons du passé ». La grippe espagnole a été insérée dans des questionnaires historiques multiples, qui situent la pandémie dans des périodisations souvent étendues, où l’expérience locale de l’épidémie n’est plus considérée comme une réduction du contexte global. Certains des présupposés des premières recherches historiennes, comme « l’oubli » de la pandémie ou son atteinte égalitaire dans la population, ont été remis en cause. Ces enquêtes montrent certains écueils de l’échelle nationale adoptée par l’historiographie durant plusieurs décennies, pour autant qu’elle soit comprise comme moyen d’arriver à une histoire globale, en fait profondément morcelée face à un événement particulièrement variable, comme la grippe elle-même, et dépendant des contextes locaux.

43Cent ans après sa survenue, l’exceptionnalité de la pandémie de 1918 n’est plus étudiée par les historiens isolément, mais réinsérée dans le cadre d’histoires locales et nationales de plus longue durée, de l’histoire des recherches scientifiques sur la grippe dans les sciences médicales, ou de la place de la grippe dans l’histoire de la santé publique internationale et globale.

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Notas

1 Rappelons que l’adjectif « espagnole », indiquant l’origine supposée de l’épidémie au printemps 1918, a été considéré dès 1918 comme impropre par nombre de contemporains, qui soulignaient l’impossibilité de discerner le (ou les) foyer épidémique initial. Ce nom d’usage révèle en fait le rôle de la censure dans les pays européens en guerre, laquelle n’avait pas cours en Espagne, non belligérant.

2 Nous utilisons épidémie et pandémie comme des synonymes, bien qu’une pandémie corresponde à une épidémie touchant la plupart des espaces du monde. L’opération historiographique s’est largement transformée en questionnant l’a priori selon lequel la grippe espagnole était une pandémie universelle pour ses contemporains. Les travaux les plus aboutis questionnent l’articulation, jusque dans la manière de nommer l’événement, entre un mal local et individuel et un événement collectif mondial, connu et conçu comme tel.

3 Comme le remarque l’épidémiologiste américain W. T. Vaughan (1921, 3), auteur de la première enquête sur la pandémie de grippe pour le compte de la Metropolitan Life Insurance Company.

4 La littérature médicale distingue alors la première vague du printemps 1918, avec une forte morbidité mais une faible mortalité, d’une seconde vague à l’automne 1918 comptant pour l’essentiel de la mortalité (y compris les complications bactériennes de la grippe), et une dernière vague durant l’hiver 1918-1919, à la mortalité moins prononcée qu’à l’automne mais supérieure au printemps 1918. Cette chronologie en trois « vagues » concerne les situations européennes et nord-américaines.

5 Comme le continent africain, l’Inde, l’Indonésie, etc. – voir, par exemple : Patterson (1981 et 1983), Mills (1986), Brown (1987). L’absence notable d’enquête sur l’Amérique latine ne sera comblée, en partie, qu’une vingtaine d’années plus tard par l’ouvrage dirigé par María-Isabel Porras-Gallo et Ryan A. Davis (2014). On trouvera également des références sur l’épidémie de grippe au Proche et au Moyen-Orient dans Steinberg (2006).

6 On emploie ici le masculin par convention : un grand nombre des « historiens » ici cités sont des historiennes.

7 Une question que l’on retrouve dans les territoires coloniaux – voir par exemple, pour la Rhodésie du sud, Giles-Vernick, Craddock et Gunn (2010), et plus généralement pour les études sur l’épidémie dans le contexte africain, Heaton et Falola (2006).

8 Un intéressant contre-exemple est fourni par l’étude de Myron Echenberg (2003) sur le Sénégal, alors partie de l’Afrique Occidentale française. Comme l’auteur l’indique, plus que la grippe, c’est le retour de la peste bubonique, en 1914 puis en 1918-1919, qui accapare l’attention puis la mémoire des autorités coloniales et de la population.

9 Dans une étude sur l’épidémie en Iran, Afkhami (2003) souligne l’importance de se déprendre de l’idée selon laquelle ce mal universel s’est uniquement attaqué en 1918-1919 à des individus en pleine santé (et urbains). En Iran, l’importance de la co-morbidité (avec la malaria, les famines, etc.), en particulier dans les zones rurales, est indissociable des circonstances sociopolitiques associées à la Grande Guerre.

10 Voir par exemple Mendelsohn (1998).

11 En 2008, un colloque à lInstitut Pasteur a donné lieu à la publication d’une ouvrage réunissant des intervenants des sciences sociales, de santé publique et des sciences médicales (Giles-Vernick, Craddock, et Gunn 2010). Un autre colloque a été organisé en 2011 par deux historiens, Michael Bresalier et Patrick Zylberman, sous le titre After 1918: History and Politics of Influenza in the 20th and 21th Centuries. Il n’incluait qu’un seul intervenant non spécialiste de sciences sociales.

12 La séquence de la première protéine a été publiée en 1999, de la seconde en 2000.

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Para citar este artigo

Referência do documento impresso

Frédéric Vagneron, «La grippe espagnole : une historiographie centenaire revisitée»Ler História, 73 | 2018, 21-43.

Referência eletrónica

Frédéric Vagneron, «La grippe espagnole : une historiographie centenaire revisitée»Ler História [Online], 73 | 2018, posto online no dia 27 dezembro 2018, consultado no dia 29 março 2024. URL: http://journals.openedition.org/lerhistoria/4004; DOI: https://doi.org/10.4000/lerhistoria.4004

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Autor

Frédéric Vagneron

IBME, Université de Zürich (UZH), Suisse

frederic.vagneron@uzh.ch

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