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Waga Energy, la start up française qui transforme le gaz perdu des décharges en biométhane.

Entretien avec Waga Energy, la start up militante du biométhane français

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Rencontre avec Mathieu Lefebvre, président de Waga Energy (voir leur site), une start up française qui valorise le gaz produit par les décharges pour en faire du biométhane.

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Mathieu Lefebvre, président de Waga Energy.

Selectra : Comment est née Waga Energy ?

Mathieu Lefebvre : Pour commencer, on se définit chez Waga Energy comme des militants du gaz renouvelable. Nous sommes des ingénieurs de la filière gaz, fortement impliqués dans les problématiques de l’énergie, et très concernés par les enjeux du développement durable. Comme tout le monde, nous sommes très sensibilisés aux risques du réchauffement climatique, dont nos enfants auront à subir les conséquences, et nous avons décidé d’agir concrètement pour rendre le monde plus durable. Notre projet de valorisation du gaz des installations de stockage des déchets a été développé au sein d’Air Liquide pendant 7 ans. Aujourd’hui, nous sommes une entreprise indépendante, même si Air Liquide, actionnaire minoritaire, nous soutient activement.

Selectra : Waga Energy, ça veut dire quoi ?

Mathieu Lefebvre : Waga, c’est la contraction de WAsted et de GAs : le gaz gaspillé. Ce gaz, c’est celui des installations de stockage des déchets non dangereux (ISDND) - appelées communément “décharges”. Il est produit naturellement par la fermentation des matières organiques. Des millions de mètres cubes de gaz énergétique sont ainsi perdus chaque heure sur les sites de stockage du monde entier.

Selectra : Quels sont les enjeux propres de la filière gaz ?

Mathieu Lefebvre : En France, nous avons un prisme très électrique, ce qui est un biais pour engager une transition énergétique ambitieuse, répondant à l’ensemble de nos besoins. L’électricité renouvelable est certes un pilier de la transition énergétique, mais le biométhane est l’autre pilier à développer d’urgence ! L’électricité ne représente que 15% de l’énergie finale consommée. C’est-à-dire que dans seulement 15% des usages de l’énergie, on ne peut pas se passer de l’électricité. Pour les 85% restants, principalement le chauffage et le transport, les sources d’énergie utilisées sont le pétrole, le gaz et le charbon. Nous sommes totalement dépendants des énergies fossiles, qui ont un double impact sur nos vies : un impact géopolitique puisque nous sommes dépendants des pays producteurs, et un impact environnemental car nous destockons du carbone fossile pour l’envoyer dans l’atmosphère. Il est donc impératif de développer la filière du biométhane, énergie renouvelable produite localement qui se substitue à ces énergies.

Selectra : Concrètement, le biométhane, c’est la même molécule que le gaz naturel fossile utilisé actuellement ?

Mathieu Lefebvre : Oui, exactement ! C’est la même molécule, le méthane, qui compose le biométhane et le gaz naturel fossile. Cela signifie que l'on peut utiliser des infrastructures actuelles (réseaux, chaudières, cuisinières, etc).

wagabox vue du dessus

Selectra : La France a-t-elle un bon potentiel pour le développement du biométhane ?

Mathieu Lefebvre : Quand on survole la France, on se rend compte de tout le potentiel français pour le développement de la filière biométhane. Les terres arables qui couvrent notre territoire produisent de la biomasse, tout comme les forêts qui sont particulièrement abondantes, contrairement à d’autres pays européens. Or la biomasse cellulosique (celle issue des déchets agricoles et agro-industriels) comme la biomasse forestière peut être utilisée pour produire de l’énergie, du biométhane. La France est donc une excellente candidate pour le développement du biométhane, car elle possède de très nombreux gisements de déchets valorisables. Elle possède ainsi le plus gros potentiel européen.

Selectra : Pourquoi Waga Energy a-t-il choisi de valoriser le gaz des décharges ?

Mathieu Lefebvre : Le biométhane est produit à partir de plusieurs sources issues de la biomasse. Toutes ne sont pas faciles à exploiter. Le gaz des installations de stockage est un gaz compliqué parce qu’il est composé de méthane et d’air. Il est issu de la dégradation des matières organiques - comme des restes de repas par exemple - dans les sites d’enfouissement des déchets. Contrairement aux autres sources de biométhane, il s’agit d’un gaz produit de manière fatale. C’est-à-dire que quoiqu’il arrive, il va être produit. Soit il part dans l’atmosphère, où il participe grandement au réchauffement climatique, soit il est exploité. Waga Energy a réussi le pari technique d’épurer ce gaz pour en faire du biométhane.

Selectra : Comment fonctionne une Waga Box ?

Mathieu Lefebvre : Comme je viens de l’expliquer, le gaz des décharges est compliqué à valoriser parce qu’il contient de l’air. Pour épurer le biométhane, nous utilisons un procédé en deux étapes : une filtration par membranes classique, puis une séparation à température cryogénique. Une Wagabox peut alimenter environ 3 000 foyers à partir des déchets d’une ville de 100 000 habitants.

Selectra : Combien de Wagabox sont en service aujourd’hui ?

Mathieu Lefebvre : Trois Wagabox sont en exploitation. Quatre autres seront mises en service d’ici le début de l’année 2019 et nous avons d’autres projets en cours. Nous serons dès l’année prochaine l’un des principaux producteurs de biométhane en France.

Selectra : Est-ce que vous avez prévu d’exporter votre technologie à l’international ?

Mathieu Lefebvre : Il existe entre 20 000 et 30 000 décharges dans le monde. Si nous ne sommes pas les seuls à vouloir exploiter ce gaz, nous sommes en revanche les seuls à disposer d’une technologie offrant un niveau de performance très élevé, ce qui nous permet aujourd’hui d’ouvrir largement ce marché. En Hollande, il y a par exemple deux ou trois projets depuis une dizaine d’années, mais la problématique n’est pas la même car le pays fonctionne avec du gaz à bas pouvoir calorifique.

 

Nous déployons en priorité notre solution en France, berceau de la technologie, où il existe un mécanisme de soutien à la production de biométhane.

 

Les tarifs d’obligation d’achat actuels sont un très bon outil pour le développement de la filière. Il serait cependant dommage de se limiter à la France quand 98 % du marché se situe à l’étranger.

Selectra : Est-ce que selon vous les consommateurs sont prêts pour le biométhane ?

Mathieu Lefebvre : On le voit partout en Europe, les consommateurs sont prêts à payer plus cher pour avoir accès à des produits écologiques et locaux. C’est le cas pour les yaourts ou la cosmétique, il en va de même pour l’énergie et donc pour le biométhane. En exploitant le biogaz des installations de stockage, nous sommes en mesure de produire du gaz renouvelable à un prix proche de celui du gaz naturel.

wagabox avec deux travailleurs

Selectra : Y a-t-il une différence de coût de production importante entre le gaz naturel fossile et le biométhane ?

Mathieu Lefebvre : Effectivement, c’est la problématique que rencontrent les producteurs de gaz renouvelable. Le biométhane produit à partir des déchets agricoles est souvent bien plus cher que le gaz naturel. L’Etat doit donc soutenir cette filière qui nécessite des investissements importants. Exploiter le gaz des installations de stockage permet d'accélérer les choses en transformant une source de pollution en un biométhane dont le prix est proche de celui du gaz fossile.
Il ne faut cependant pas comparer le prix du biométhane, produit localement, à celui du gaz naturel sur les marchés : ce dernier est en effet importé d’Algérie, de Russie, des Pays-Bas ou de Norvège, ce qui implique des coûts de transport et d’acheminement très importants. Sans parler des conséquences sur notre environnement, difficiles à quantifier.

Selectra : Qu’est-ce qui freine le développement du biométhane en France selon vous, en dehors de cette question des prix ?

Mathieu Lefebvre : En 2018, une centaine de projets vont voir le jour en France pour un potentiels de plusieurs milliers d’unités. C’est en partie dû à notre focalisation sur l’électricité. Dans la PPE actuelle (Programmation Pluriannuelle de l'Énergie ndlr), on parle à 80% de l’électricité.

 

Le biométhane est surtout vu que comme un soutien à l’agriculture. Il me semble important de prendre en compte sa dimension énergétique.

 

Le mécanisme de soutien mis en place par le gouvernement est très efficace, même s’il mérite d’être un peu simplifié. Il est important de le maintenir dans les années à venir afin d’accompagner le développement d’une filière qui commence juste à éclore.

Selectra : Au contraire, voit-on des acteurs de la filière gaz contribuer particulièrement au développement du biométhane en France ?

Mathieu Lefebvre : Aujourd’hui la filière est embryonnaire avec quelques acteurs qui commencent à sortir du lot. En parallèle, GRDF et les opérateurs gaziers soutiennent fortement ces développements, et heureusement qu’ils sont là ! Ils ont bien compris l’enjeu. Aujourd’hui, leurs réseaux transportent et distribuent principalement du gaz naturel fossile. Demain, quoiqu’il arrive, ce gaz devra être renouvelable. Ces réseaux sont des outils formidables pour acheminer l’énergie produite dans les territoires vers les consommateurs. Ils sont mobilisés avec l’ambition d’atteindre 30 % de gaz renouvelable en France dès 2030.

Selectra : Pensez-vous que le scénario de l’ADEME (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) d'une France auto-suffisante en gaz en 2050 est réalisable ?

Mathieu Lefebvre : Le scénario de l’ADEME pour une France auto-suffisante en gaz en 2050 est très ambitieux mais réalisable d’un point de vue technique. A partir du moment où on arrête de gaspiller notre énergie, la ressource en biométhane de la France est considérable. Elle pourrait tout à fait répondre à beaucoup de nos besoins, à condition de mettre en place les conditions favorables à son exploitation.

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