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Au Sahel, le climat durablement perturbé depuis la « grande sécheresse »

Le déficit de précipitations, conjugué à un renforcement des pluies intenses, a des conséquences particulièrement graves pour les populations de la région.

Par Thierry Lebel, Gérémy Panthou et Théo Vischel

Publié le 12 novembre 2018 à 16h52, modifié le 12 novembre 2018 à 16h56

Temps de Lecture 6 min.

Des habitants construisent une digue pour retenir l’eau près de Diapaga, à 300 km au nord-est de Ouagadougou, en mars 2012.

Des années 1970 à la fin du XXe siècle, la région du Sahel a souffert d’une sécheresse dont la durée et l’intensité restent inégalées. Cette sécheresse a été particulièrement marquée entre 1970 et 1990, avec une baisse de la quantité de pluie annuelle de 200 mm en moyenne, soit un déficit de 50 à 60 % dans la partie nord de la région.

L’insécurité alimentaire qui en a résulté s’est traduite par des déplacements de population vers les régions plus humides, au sud, et les grandes villes, créant les conditions d’une instabilité sociopolitique encore manifeste aujourd’hui.

La sécheresse s’étant progressivement atténuée au cours des années 1990, on a parfois parlé d’un « retour à la normale ». Certains auteurs ont même avancé que cette reprise des pluies était liée au réchauffement climatique et que la hausse de la teneur en gaz à effet de serre dans l’atmosphère favorisait le retour à des conditions plus humides sur le Sahel.

Ce lien de causalité est pourtant loin de faire consensus au sein de la communauté scientifique. D’une part, les modèles climatiques ne convergent pas vers une telle conclusion. D’autre part, la notion même de « pluie normale » peut être questionnée.

Un climat encore plus extrême

Deux résultats récents éclairent cette controverse scientifique d’un nouveau jour.

Tout d’abord, la pluie annuelle actuellement observée au Sahel reste inférieure de 10 à 15 % à ce qu’elle était lors des décennies humides 1950 et 1960, du fait notamment d’un déficit persistant d’événements pluvieux durant la mousson. Au seul plan des cumuls annuels, il semble donc difficile de parler d’un « retour à la normale ».

Par ailleurs, cette reprise des totaux annuels au Sahel est due avant tout à une plus grande fréquence de pluies intenses : la dernière décennie a ainsi vu une augmentation de 40 % de la proportion de pluie annuelle associée à ce type de pluie. Dans le même temps, la fréquence de jours pluvieux est restée inchangée par rapport à celle enregistrée durant la sécheresse, soit un déficit de 20 % en moyenne par rapport aux décennies antérieures.

Cette persistance d’un déficit d’événements pluvieux, conjuguée à un renforcement des pluies intenses, correspond typiquement à un climat plus extrême caractérisé à la fois par des périodes sèches plus sévères et des précipitations plus fortes quand il pleut.

Cette intensification du cycle hydrologique est conforme à la théorie de Clausius-Clapeyron, une atmosphère plus chaude contenant plus de vapeur d’eau et devenant plus explosive. Elle a été observée dans d’autres régions du monde, mais le Sahel semble être la région du continent africain où elle est la plus manifeste.

Récoltes aléatoires et migrations forcées

Ce nouveau climat a des conséquences particulièrement graves pour les populations sahéliennes, en rendant les récoltes plus aléatoires du fait de périodes sèches plus sévères en saison des pluies et en augmentant la fréquence des inondations, soit localement, soit même à l’échelle de grands bassins. C’est ainsi que depuis une quinzaine d’années, des records de crue se succèdent sur le fleuve Niger à Niamey.

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D’une manière générale, l’Afrique de l’Ouest est le siège d’une recrudescence d’inondations meurtrières depuis une dizaine d’années, que l’on peut attribuer à l’effet conjugué de l’intensification pluviométrique et à des changements d’usage des terres. La déforestation, la réduction des jachères et l’urbanisation se conjuguent en effet pour diminuer la capacité d’absorption de l’eau par les sols, notamment en zone sahélienne.

Ces inondations sont à l’origine de déplacements de population. En 2012, on estime à plus de 500 000 le nombre de déplacés au Niger suite aux crues exceptionnelles enregistrées cette année-là. Il s’agit de déplacements le plus souvent temporaires et sur des distances limitées (changement de quartier ou de village). Mais il n’est pas exclu que l’augmentation de leur fréquence sur le long terme agisse, au même titre que les sécheresses récurrentes, comme facteurs déclenchant de mobilités plus lointaines et définitives.

Aujourd’hui, l’intensification climatique se manifeste tout d’abord sous forme de chocs localisés, dont les effets se propagent à l’ensemble de la sous-région, qui joue un rôle d’amortisseur. Avec l’augmentation continue des températures, l’ampleur de ces chocs et leur extension risquent de s’accroître, provoquant un déséquilibre socio-économique dans l’ensemble de la région.

Le cycle des saisons alteré

D’autres modifications importantes du régime pluviométrique sahélien contredisent l’idée d’un retour à la normale. Tout d’abord, le cycle saisonnier est durablement altéré : avant la grande sécheresse de la fin du XXe siècle, le pic de pluviométrie se produisait fin août. Depuis la sécheresse, ce pic s’est déplacé au milieu du mois d’août, accentuant la précarité pluviométrique en fin de cycle pour la culture du mil et diminuant l’eau disponible dans les sols pour les cultures de contre-saison.

Par ailleurs, on observe un contraste entre le Sahel central, où la reprise annuelle est plus marquée, et un Sahel ouest où elle est plus timide. Ce constat confirme que, même sur une région dont le climat est réputé homogène, le changement climatique global crée des différenciations qu’il est nécessaire de prendre en compte dans les politiques environnementales et économiques. Dans la mesure où les modèles de climat sont en difficulté pour prévoir l’impact du réchauffement climatique sur le régime pluviométrique des régions tropicales, des systèmes de suivi sont indispensables.

L’objectif est d’observer les trajectoires climatiques à des échelles assez fines pour guider des actions d’adaptation. Les pratiques agricoles seront, par exemple, à modifier différemment selon qu’on fait face à des saisons des pluies plus courtes ou à des sécheresses plus marquées en cours de saison des pluies. Les inondations seront d’une nature différente selon que les pluies intenses – devenues plus fréquentes – sont concentrées localement ou touchent de vastes superficies.

L’observatoire Amma-Catch documente depuis trente ans ces évolutions climatiques, hydrologiques et écologiques en Afrique de l’Ouest. Il s’appuie sur trois sites, au Mali, au Niger et au Bénin. Si la mise en place et le maintien dans la durée de tels observatoires s’avèrent indispensables, ils ne vont cependant pas de soi. Leur utilité n’étant tangible qu’au bout d’un certain temps, ils n’attirent pas en priorité les investissements, qui favorisent le plus souvent les bénéfices rapides.

Adapter les normes

Aujourd’hui, l’appropriation par les décideurs et les acteurs de la société des enjeux climatiques qui les touchent est essentielle. La question des normes hydrologiques l’illustre : ces réglementations, utilisées pour dimensionner les ouvrages de génie civil et les barrages, ont été élaborées il y a parfois plus de quarante ans. Elles sont aujourd’hui complètement inadaptées, mais les Etats ou les entreprises n’en ayant pas vraiment pris acte, elles n’ont toujours pas été révisées.

De même, les périodes sèches prolongées en cours de saison des pluies devraient inciter à développer de nouvelles variétés de mil ou de légumineuses, résistantes à ce déficit pluvieux. Or la recherche agronomique a plutôt privilégié jusqu’à présent le développement de variétés à cycle court, en partant du présupposé que la baisse de la pluie annuelle était associée à une saison des pluies plus courte, ce qui n’est pas vraiment le cas.

Une chose est sûre : il est nécessaire de dépasser le stade de l’alerte purement climatique. Les conséquences du réchauffement sont d’autant plus critiques que d’autres paramètres clés de notre environnement évoluent simultanément : la déforestation, la réduction des jachères, voire l’imperméabilisation des zones périurbaines, augmentent les coefficients de ruissellement et l’impact des fortes pluies. La croissance rapide de la population et sa concentration dans des zones facilement inondables sont aussi de nouveaux facteurs de vulnérabilité.

Thierry Lebel est directeur de recherche, hydro-climatologue et spécialiste du cycle de l’eau en région tropicale à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), Gérémy Panthou est hydro-climatologue, physicien adjoint à l’Institut des géosciences de l’environnement (IGE) de l’université Grenoble-Alpes, Théo Vischel est maître de conférences en hydrologie à l’université Grenoble-Alpes.

Cet article a d’abord été publié sur le site The Conversation.

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