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L'homéopathie ne sera plus du tout remboursée en 2021...et voici ce que ça change vraiment
A partir du 1er janvier 2021, les médicaments homéopathiques ne seront plus remboursés par l'assurance maladie.
© Sebastien RIEUSSEC / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

L'homéopathie ne sera plus du tout remboursée en 2021...et voici ce que ça change vraiment

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Le 1er janvier prochain, les médicaments homéopathiques cesseront intégralement d'être remboursés. Avant cette échéance, le taux de remboursement était passé de 30 à 15 % en 2020. Prix, consommation, emplois, économies pour l'Assurance Maladie : Marianne dresse le bilan de cette année transitoire pour l'homéopathie afin d'anticiper les conséquences prévisibles de ce déremboursement en 2021.

Ce sont des conclusions qui avaient fait bondir le secteur de l'homéopathie. En 2019, la Haute Autorité de Santé (HAS) estimait dans un rapport fondé sur 37 études scientifiques que les médicaments homéopathiques n'avaient pas démontré leur "efficacité". Résultat : une sentence sans appel. La HAS donnait un "avis défavorable au maintien de la prise en charge par l’Assurance Maladie des médicaments homéopathiques". Agnès Buzyn, alors ministre de la Santé, décidait d'acter pour 2021 le déremboursement des 1163 souches homéopathiques qui bénéficiaient d'un taux de remboursement à 30 %. Pour accompagner les patients et les professionnels du secteur, la ministre décidait d'une année transitoire en 2020 avec un remboursement à hauteur de 15 %. Malgré ce répit accordé, les conséquences se font déjà sentir pour le secteur et laisse présager des évolutions sur les prix, l'emploi et la consommation à partir de 2021.

1. Vers une hausse des prix

Conséquence directe de la baisse du taux de remboursement, le coût des médicaments homéopathiques pour les patients devait augmenter. Mais pour Charles Bentz, président du Syndicat national des médecins homéopathes français, l'impact a été limité en 2020 avec les prises en charge par les assurances complémentaires. Sauf qu'en 2021 il en sera autrement. En effet, les médicaments remboursés partiellement ou en totalité bénéficient d'un taux de TVA favorable à 2,1 %. Or, une fois qu'elle ne sera plus remboursée, l'homéopathie sera soumise à un taux de 10 %. Sans compter le fait que les laboratoires, n'étant plus soumis aux mêmes régulations, pourraient augmenter leur tarif. "La perte du statut de médicament partiellement remboursé permet aux industriels d'augmenter leurs prix sans demander d'autorisations préalables" précise François Chast, favorable au déremboursement et Président honoraire de l'Académie nationale de pharmacie.

Boiron, leader mondial du secteur qui n'a pour l'instant pas touché à ses étiquettes, affirme d'ores et déjà à Marianne qu'il y aura "forcément des conséquences sur les prix", sans donner plus de précisions. Charles Bentz, de son côté assure : "Boiron nous a assuré que le prix de vente du tube ne dépasserait pas trois euros", mais s'inquiète pour les ménages modestes consommateurs d'homéopathie.

Un impact à relativiser cependant à l'échelle globale du marché français de l'homéopathie. Certains médicaments, comme Oscillococcinum utilisé contre les états grippaux, n'étaient déjà pas pris en charge par l'Assurance Maladie. Nombreux également étaient les consommateurs à en acheter sans prescriptions et donc sans bénéficier de remboursement. Selon le rapport de la HAS, de mars 2018 à février 2019, 31 % des unités de médicaments homéopathiques vendues, remboursables ou non, l'étaient sans prescription. Par ailleurs, dans un communiqué relayé par France 3, Boiron assure que "de nombreuses mutuelles proposeront dans certains de leurs contrats une prise en charge totale ou partielle des médicaments homéopathiques".

2. La consommation a déjà baissé

Selon les chiffres avancés par Boiron, la baisse du taux de remboursement et la perspective du déremboursement ont déjà affecté la consommation d'homéopathie en 2020. Au troisième trimestre, les ventes du laboratoire en France sont en baisse de 18,1 % par rapport à 2019 et de 21,2 % au deuxième trimestre. Au-delà du déremboursement, pour expliquer cette chute des ventes, le laboratoire évoque dans son rapport d'activité du troisième trimestre 2020 un "contexte de dénigrement de l’homéopathie". De son côté, Charles Bentz estime que la baisse du taux de remboursement "n’a pas changé grand-chose pour les patients habitués à l’homéopathie" mais plutôt pour ceux l’utilisant moins régulièrement.

Conséquence supplémentaire : la baisse possible du nombre de praticiens homéopathes. Selon le SNMHF (Syndicat National des Médecins Homéopathe Français), environ 5 000 médecins pratiquent l’homéopathie à titre principal. Charles Bentz estime que leur moyenne d’âge est élevée et que "beaucoup vont prendre leur retraite au 1er janvier 2021". Une diminution qui devrait affecter à terme la consommation, mais pas seulement. "Il y a un risque que les patients se tournent vers des non-médecins comme des naturopathes" assure le président du SNMHF.

3. L'emploi menacé...mais pour diverses raisons

La perspective du déremboursement et la baisse des ventes qui en découle font peser des menaces sur l'emploi dans le secteur de l'homéopathie. En mars 2020, Boiron a annoncé un plan social et la fermeture de 13 des 27 sites de l'entreprise. 566 postes doivent être supprimés. Après 31 ans au sein du laboratoire, Vincent Mounier, délégué syndical central Force Ouvrière (FO) reconnaît que le déremboursement n'a été qu'un "facteur aggravant" dans le contexte de critiques auquel faisait déjà face l'homéopathie.

Cette nouvelle politique sanitaire ne serait-elle qu'un prétexte à ces suppressions d'emploi ? Difficile à dire. "À fin septembre, le chiffre d'affaires du groupe est en recul de 7,4 %, fortement impacté par la baisse des ventes en France" écrit Boiron dans un communiqué. "Le déremboursement a accéléré les choses mais je pense que les choses étaient déjà prévues et c'est l'excuse qui permet d'aller plus loin" estimait à l'AFP en septembre Martine Grimm, syndicaliste chez FO. En juillet 2020, la fortune de la famille Boiron qui détient près de 70 % des parts du groupe était certes en baisse par rapport à 2019 mais estimée par Challenges à 430 millions d'euros.

Pour François Chast, "les industriels du secteur pourraient être associés à la production d'autres médicaments plus utiles". Une réorientation des laboratoires qui exigerait un changement de stratégie. Boiron a par exemple dépensé en 2018 155 millions d'euros dans la "promotion" contre seulement 3,8 millions dans la recherche.

4. De petites économies pour l'Assurance Maladie

Même si ce n'était pas le premier objectif du déremboursement, visant plutôt à orienter les Français vers des médicaments à l'efficacité démontrée, cette nouvelle politique a permis à l'Assurance Maladie de réaliser des économies. De janvier à juin 2020, le montant des remboursements de médicaments homéopathiques délivrés par les pharmacies de ville s'élevait à 12,9 millions d'euros, contre 25,2 millions sur la même période en 2019, soit une baisse de près de 49 % du montant remboursé sur un semestre. Une diminution qui demeure symbolique puisqu'en 2019 les remboursements de l'homéopathie représentaient moins de 1 % du montant total des remboursements de médicaments de l'Assurance Maladie.

Les professionnels du secteur s'appuient sur une étude du cabinet ASTERES pour affirmer que le maintien d'un taux de remboursement à 15 % n'est pas coûteux pour l'Assurance Maladie. "Le faible prix des médicaments homéopathiques (2,52 € par boîte en moyenne en incluant les honoraires du pharmacien) et le faible taux de remboursement (15 %) permettent à̀ la franchise médicale de couvrir l’intégralité des dépenses de l’Assurance Maladie. In fine, le remboursement des médicaments homéopathiques pour les patients du régime général ne coûte rien à l’Assurance Maladie, à l’exception des statuts spécifiques tels que les personnes en affections de longue durée, les femmes enceintes, les bénéficiaires de la Protection universelle maladie ayant souscrit à la Complémentaire santé solidaire." affirme l'étude. La franchise médicale est "la somme qui est déduite des remboursements effectués par votre caisse d'Assurance Maladie sur les médicaments, les actes paramédicaux et les transports sanitaires" rappelle l'Assurance Maladie sur son site

Cela ne signifie pas pour autant qu'avec un taux de remboursement à 15 % l'homéopathie ne coûte rien à l'Assurance Maladie. En effet, il faut ajouter au coût du remboursement des médicaments la rémunération reçue par les pharmaciens pour la délivrance de médicaments ou encore le coût du remboursement des préparations médicamenteuses effectuées en officine. L'étude d'ASTERES évalue à 31 millions d'euros le coût total de l’homéopathie pour l’assurance maladie en 2020, soit 59 % de moins qu'en 2018. Si ASTERES affirme que ses économistes "ont bénéficié d’une totale indépendance dans la conduite de cette étude", il convient de préciser qu'elle a été commandée par Boiron.

Mais pour les défenseurs du déremboursement, là n'est pas l'essentiel. Pour François Chast, "Le sujet qui est important est de savoir si les Français sont mieux soignés".

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne