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TribuneCatastrophes nucléaires

De Tchernobyl à Fukushima, le même mensonge officiel sur la radioactivité

Rien ne semble avoir changé de Tchernobyl à Fukushima : les instances scientifiques officielles minorent l’effet de la radioactivité dégagée par les catastrophes nucléaires.

Robotique, objets connectés, bio et nanotechnologies, chimie de synthèse... Parce que l’innovation est le principal moteur de la croissance qui dévore la planète, Reporterre publie une série de tribunes visant à démythifier le progrès et faire de la recherche scientifique un terrain de controverse et de luttes.


Yves Lenoir est président d’Enfants de Tchernobyl Belarus.


Le traitement de la crise de Fukushima a tout d’un remake perfectionné de celui de la catastrophe de Tchernobyl. Bien à l’abri, au sein du complexe de pouvoir onusien, de toute contestation savante et/ou sociale , les institutions internationales qui se sont arrogées le monopole du discours sur les effets des rayonnements et sur les questions de radioprotection – UNSCEAR (United Nations Scientific Committee on the Effects of Atomic Radiation) et la CIPR (Commission internationale de protection radiologique), affiliée à l’OMS (Organiation mondiale de la santé) en 1955 – ont joué et jouent un rôle de premier plan dans le déni de la plupart des conséquences sanitaires de ces deux accidents majeurs.

En 2006, un rapport officiel sur Tchernobyl mentionnait que seulement 191 167 liquidateurs ukrainiens, sur les 352.939 dénombrés en 1996, étaient encore en vie [1]. Toujours en 2006, les académiciens Yablokov et Nesterenko publiaient une compilation de plus de 1.100 articles scientifiques sur les effets de la catastrophe [2]. On y apprenait que 45 ans est l’âge moyen de décès de nombre de liquidateurs. Un bilan de bataille atomique : le réacteur en feu avait craché autant de radioactivité [3] qu’une à cinq explosions atomiques… par heure… durant dix jours.

Alexei V. Yablokov a été de ceux qui ont fait comprendre l’effet à long terme de la catastrophe de Tchernobyl

Pourtant, en septembre 2005, le Chernobyl Forum, une instance créée au sein de l’ONU en 2002, et dirigée par des experts de l’UNSCEAR, de la CIPR et de l’AIEA, a décrété le « bilan définitif » de la catastrophe [4] : 50 morts en tout, liquidateurs et populations exposées. Un miracle ! L’atome pacifique déchaîné tue moins qu’une demi-journée de circulation routière en Russie… Miraculeux !

L’UNSCEAR a ensuite soumis à l’assemblée générale de l’ONU son rapport général, défense et illustration du rapport du Chernobyl Forum : adopté à l’unanimité ! Le miracle devient article de foi : tous les pays représentés à l’ONU l’ont reconnu. Pas de miracle sans croyants. Mais toute religion a aussi ses apostats, agnostiques et athées, qui ne méritent qu’anathèmes et renvois à la doctrine. Ainsi, en avril 2010, au fil d’une cinglante réfutation, le secrétaire scientifique du Chernobyl Forum, Mikhaïl Balonov, chantre de l’innocuité de l’atome pacifique, a opposé à Yablokov et Nesterenko « la Bible de la médecine des radiations » [5], à savoir la liste des références scientifiques et des rapports validés par l’UNSCEAR.

Précisons que courant 1986, Balonov avait fait venir un collègue avec sa femme enceinte travailler et habiter dans une région très contaminée de Russie, afin d’en rassurer la population [6] ; cet exploit avait ouvert à l’obscur chercheur de l’Institut d’hygiène des radiations de Leningrad – redevenue Saint-Pétersbourg en 1991 – la voie vers d’éminentes responsabilités à l’UNSCEAR, la CIPR et l’AIEA.

Des liquidateurs de Tchernobyl.

Fin 2011, ce même Balonov a été chargé de coordonner la rédaction du premier rapport de l’UNSCEAR sur l’exposition des populations aux radiations de Fukushima. En octobre, dans une lettre ouverte publiée en anglais et en japonais, il avait prophétisé : « Chers habitants de la préfecture de Fukushima […] On ne devrait s’attendre à aucune augmentation des maladies thyroïdiennes dans un avenir proche ou lointain. […] On peut prédire qu’un accroissement de la morbidité dans la population japonaise est peu probable [7]. » En mai 1986, juste après la catastrophe de Tchernobyl, l’OMS n’avait-elle pas déjà affirmé qu’« aucune mesure de protection de la population touchée par les retombées de Tchernobyl ne se justifie »[[Chernobyl Reactor accident, Rapport provisoire de l’Organisation mondiale de la santé, Copenhague, 6 mai 1986.] ?

L’UNSCEAR a été instituée en 1955 pour décréter la « Vérité » des effets des radiations. Sa création visait à favoriser la fondation de l’AIEA (1957) afin d’enclencher de la manière la plus harmonieuse possible l’entrée de l’Humanité dans l’ère de l’énergie atomique. La survenue d’accidents graves a nécessité l’extension de ses missions, qui sont aussi celles de la CIPR et de l’OMS, à savoir préserver l’avenir de l’énergie atomique en rendant socialement et politiquement acceptables l’exposition aux retombées radioactives et l’ingestion de nourriture contaminée par des radioéléments artificiels.
Les effets des radiations doivent être soustraits à ce régime d’exception – la tutelle de l’UNSCEAR – et traités comme n’importe quelle discipline scientifique, non comme des articles de foi. Débarrassée de la dictature et des censures de l’UNSCEAR, la réalité des dommages s’imposera. L’UNSCEAR doit être dissout. C’est un impératif politique.


Yves Lenoir est président d’Enfants de Tchernobyl Belarus et auteur de La Comédie atomique, La Découverte, 2016.

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