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Les infectiologues français sont-ils trop proches d'un laboratoire comme l'affirment les pro-Raoult?

Un biologiste travaille sur un test du coronavirus dans un laboratoire de Hong Kong, le 5 juin 2020

Un biologiste travaille sur un test du coronavirus dans un laboratoire de Hong Kong, le 5 juin 2020 - Anthony WALLACE © 2019 AFP

Accusé de conflit d'intérêts le président de la SPILF explique que les liens entre médecins et laboratoires sont nécessaires à la recherche d'un remède contre le Covid-19, et très contrôlés.

La Société de pathologie infectieuse de langue française (SPILF) a saisi en juillet l'Ordre des médecins des Bouches-du-Rhône contre le Pr Didier Raoult, qu'elle accuse notamment d'avoir indûment promu l'hydroxychloroquine. Cette société savante a été, en retour, accusée de conflits d'intérêt avec le laboratoire pharmaceutique Gilead, qui lui a versé plusieurs dizaines de milliers d'euros ces dernières années.

Pour rappel, le professeur Didier Raoult avait déjà accusé une autre société savante de critiquer l'efficacité de la chloroquine en raison de ses liens avec des entreprises pharmaceutiques.

Accusés de conflit d'intérêt

"Ils ont tous bien plus que des liens d'intérêts avec certaines industries pharmaceutiques", a lancé dimanche Martine Wonner, députée et médecin psychiatre, déclarant que la SPILF avait reçu "plus de 800.000 euros de l'industrie pharmaceutique sur plusieurs années dont 100.000 de Gilead".

Selon la base de données gouvernementales Transparence Santé et le collectif Euros For Docs, la SPILf a reçu 1,7 million d'euros des laboratoires pharmaceutiques dont 100.000 euros de Gilead entre 2012 et 2020. Cette dernière entreprise est un laboratoire américain, détenteur du brevet du Remdésivir - actuellement testé contre le coronavirus - mais aussi spécisalisé dans la recherche de traitements contre le VIH.

Les pro-Raoult pointent du doigt ce lien financier pour justifier les critiques de ces médecins contre l'hydroxychloroquine, produit qui reste largement promu par l'infectiologue Didier Raoult pour lutter contre la Covid-19, malgré des avis scientifiques contraires.

Pas d'étanchéité entre laboratoires et médecins

Ne niant pas ces versements financiers entre laboratoires pharmaceutiques et médecins, le professeur Pierre Tattevin, chef du service des maladies infectieuses du CHU de Rennes, et président de la SPILF, explique même qu'ils sont monnaie courante, et d'utilité publique. Pour lui, cette accusation n'est qu'une "diversion".

"C'est quelque chose qui existe dans la médecine en général", explique-t-il ce lundi sur BFMTV, "c'est à dire qu'il y a l'industrie pharmaceutique qui développe des médicaments, il y a les médecins qui s'occupent des patients, et si les deux étaient étanches on n'arriverait pas à avoir les médicaments dont les patients ont besoin".
"C'est du partenariat, mais ce n'est pas du partenariat pour faire quelque chose pour" les laboratoires, assure-t-il, "c'est nous qui décidons sur quels sujets nous travaillons".

"La recherche doit être implantée dans son milieu, ça me semble être une évidence", abonde Laurent Toubiana, épidémiologiste et chercheur à l'Inserm, répondant aux questions de BFMTV. "On peut avoir des relations heureusement avec des entreprises, il n'y a aucun problème là-dessus, à partir du moment où il y a une forme de déontologie derrière".

Le financement des laboratoires nécessaire

"L'idéal ce serait d'avoir une grande recherche publique très financée qui permettrait de s'affranchir de cela, mais ça couterait vraiment très cher", à l'Etat, déclare Pierre Tattevin.

Interrogé ce lundi par BFMTV, le journaliste de Sciences et Avenir Nicolas Gutierrez confirme que ce système est "quelque chose qui se retrouve partout dans le monde", et que "la recherche fondamentale est en général financée par l'Etat mais la recherche appliquée, qui est beaucoup plus chère, est en grande partie financée par les laboratoires pharmaceutiques".

"Ca peut être regrettable, mais c'est quelque chose qui marche", continue le journaliste, "cela a permis pour le VIH de rendre une maladie qui était quasiment mortelle dans tous les cas, traitable, et de donner la possibilité à ces patients de vivre une vie normale".

"On peut se poser des questions", concède Laurent Toubiana. Il souligne toutefois que les partenariats entre médecins et laboratoires "sont parfaitement bien écrits", afin d'éviter toute dérive, "c'est comme un contrat".

Pierre Tattevin souligne d'ailleurs que la SPILF n'a jamais fait la promotion du Remdesivir, produit de Gilead Sciences. Les deux médecins rappellent également que toutes les sommes qui sont échangées sont publiées sur des sites officiels.

Qui reçoit l'argent?

Selon Pierre Tattevin, les versements effectués, "ne sont pas des rémunérations directes". A la SPILF, les médecins sont bénévoles explique-t-il, et l'argent reçu alimente cette organisation "pour que l'on puisse avoir des actions de formation, de recherche, des bourses pour les jeunes etc...".

Il peut arriver que des médecins reçoivent directement de l'argent, "dans ces cas là, il faut que je demande à mon employeur, c'est à dire le CHU de Rennes", explique Pierre Tattevin. "Ça s'appelle l'autorisation d'activités accessoires, et en général on a l'accord du moment que c'est juste quelques heures, que c'est fait en dehors des heures de travail et dans des cadres financiers limités".

Lui même explique avoir gagné "80.000 euros sur une dizaine d'années", mais que "la proportion de l'argent qui est directement versée au médecin c'est de l'ordre de 10%".

Salomé Vincendon
Salomé Vincendon Journaliste BFMTV