Le documentaire “Ceci n’est pas un complot” n’est pas complotiste mais pas sans travers

Pendant 36 semaines, le journaliste-réalisateur Bernard Crutzen s’est intéressé à la manière dont la presse belge francophone traite de la crise du Covid-19. Si son travail pose de bonnes questions, il n’est pas exempt de travers.

Le documentaire “Ceci n’est pas un complot” n’est pas complotiste mais pas sans travers
©D.R.

"Fin mars. Pas grand monde sur les routes. On nous demande d’éviter les déplacements inutiles. À cause d’un pic de pollution ? Non, à cause d’un virus. Les panneaux publicitaires me demandent de rester chez moi. Je n’ai jamais vu un tel matraquage.” C’est par ces mots que débute Ceci n’est pas un complot, un documentaire belge qui entend décrypter comment les médias racontent la crise sanitaire engendrée par le Covid-19. Il devait être diffusé lors du festival Ramdam à Tournai, mais le report de l’événement fait qu’il est aujourd’hui à voir gratuitement sur YouTube et sur la plateforme Vimeo, avant, qui sait, une diffusion en salle quand la situation le permettra.

C’est l’attitude de ses parents face au coronavirus qui a poussé le Verviétois à s’intéresser à la question en interrogeant des journalistes dans son cercle de relations pour savoir ce qu’ils disent de la pandémie, mais aussi comment ils en parlent et ce qu’ils taisent. Ce qu’ils taisent ? Complot ? “Je ne crois pas, non. Ceci n’est pas un complot”, répond le journaliste-réalisateur dont certains documentaires ont été primés et ont remporté un indéniable succès, dont Malaria Business. Pourtant, certains passages semblent indiquer le contraire.

Un postulat de base qui pose question

Pendant le dernier quart du programme long de plus d’une heure, les accusations se succèdent : “Je n’en peux plus de cette fabrique de consentement qui tourne à plein régime”, “tyrannie du risque zéro”, “mesures liberticides”, “censure qui ne dit pas son nom”, “la distanciation sociale et le télétravail empêchent désormais les échanges de points de vue. Pourquoi les autorités ont-elles fermé tous les endroits où l’on refait le monde : les campus universitaires, les cantines les bistrots ?”, “obligation vaccinale déguisée” ou encore “l’interdiction des grands rassemblements sonne-t-elle le glas des manifestations où la population pouvait exprimer sa colère ?” “En démocratie, la presse ne devrait-elle pas être le premier rempart contre les abus du pouvoir, s’interroge Bernard Crutzen. Dans cette crise, au contraire, elle semble accompagner le pouvoir, même dans ses délires.”

Ce que dénonce le documentaire, c’est l’anxiété que génère la presse dite mainstream ou officielle, utilisez la terminologie qui vous sied, à grands coups de titres sensationnalistes, de chiffres alarmistes et d’absence d’esprit critique. “Ceci n’est pas un complot mais peut-être l’utilisation d’une crise sanitaire pour imposer un monde virtuel, technologiste, hygiéniste. Une formidable opportunité pour ceux qui rêvent de pouvoir fort et de peuple sage”, conclut le réalisateur. Voilà qui n’est pas si éloigné que ça de la conclusion de Hold-Up

Une transparence bienvenue

Pourtant, il convient de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. D’abord parce que Bernard Crutzen a le mérite, déontologique notamment, d’avoir tendu son micro à ceux dont il critique l’action : des journalistes, dont le patron de l’info de la RTBF, ou l’épidémiologiste Marius Gilbert. Parce qu’il fait aussi preuve de transparence dans le financement qui lui a permis de réaliser le documentaire. Comme Hold-Up, Ceci n’est pas un complot a été financé exclusivement avec des fonds propres et par crowdfunding. À l’heure de boucler le montage, ils étaient 1488 à y avoir été de leur poche ce qui a permis de rassembler près de 85 000 euros. Si la plupart des contributeurs ont déboursé entre 5 et 50 euros, certains ont allongé 500 à 1000 euros. Tout le financement et la ventilation des dépenses sont aussi clairement indiqués et détaillés sur le site de KissKissBankBank sur lequel a été réalisée l’opération.

Le doute est permis

Il y a aussi des réalités indéniables mises en avant par le docu. Il est certain que face au poids des grandes multinationales, les États sont de plus en plus démunis, pour ne pas écrire impuissants par moments. Enfin, même si l’on n’adhère pas avec les arguments de Ceci n’est pas un complot et son postulat de base quant au rôle des médias dans la crise actuelle, le fait de douter des choses établies reste un réflexe sain. Car qui peut affirmer avec une certitude absolue avoir la réponse aux problèmes et aux questions que soulèvent le Covid-19 et la gestion de la pandémie ? Personne. La situation est unique et dresse devant tout un chacun des obstacles inédits. On peut donc douter de l’emballement médiatique, d’une certaine surenchère sensationnaliste, d’un manque de mise en perspective dans les chiffres et même de la mise en danger de la démocratie et d’une dérive sécuritaire.

Tous complices

En revanche, il est inexact d’affirmer que les médias dits mainstream n’accordent jamais la parole aux voix qui expriment des divergences à l’égard du pouvoir établi. Pour s’en convaincre, il suffit de faire des recherches sur Google à partir de plusieurs exemples cités dans le documentaire, comme avec une carte blanche publiée en août par le collectif Belgium Beyond Covid. Par moments aussi, Ceci n’est pas un complot utilise les mêmes méthodes pour prouver son point de vue que celles qu’il dénonce par ailleurs. L’utilisation de syllogismes est aussi du plus mauvais effet. Bernard Crutzen pointe du doigt Bill Gates, grand pourvoyeur de moyens auprès de l’OMS et pro vaccination à tout-va. Mais aussi généreux contributeur auprès de l’AFP. Or les médias relayent les dépêches de l’Agence France Presse. Les voici donc de facto coupables et/ou complices de véhiculer la “bonne parole” made in Bill Gates auprès du bon peuple à endoctriner… Un peu facile, non ?

Des exemples qui font pschiiiiit

Il est aussi question d’immunité collective dans le travail du journaliste-réalisateur, avec comme point d’appui, la Suède. Or, en novembre, les autorités suédoises n’ont-elles pas reconnu elles-mêmes l’échec de leur stratégie ? Tout comme le Portugal qui a longtemps essayé de faire comme si l’on pouvait y vivre normalement par temps de Covid et qui, aujourd’hui, est reconfiné, avec télétravail obligatoire, commerces non-essentiels fermés, tout comme les bistrots et les restaurants…

20000 morts balayés du revers de la main

Mais le plus choquant réside peut-être dans un chiffre, lui aussi asséné sans aucune mise en perspective alors que le docu critique la méthode. 20 000 morts en Belgique, cela représente 0,17 % de la population belge. Autrement dit, 99,8 % de nos concitoyens ne sont pas décédés du Covid. Dès lors pourquoi leur imposer des mesures sanitaires ? Est-ce que cela ne revient pas à balayer du revers de la main tous ces décès ?

Et, une fois de plus, qui peut dire ce qu’il en serait s’il n’y avait pas eu de confinement ? Parce que, et c’est là la critique importante que l’on peut adresser à Ceci n’est pas un complot, Bernard Crutzen n’avance aucune alternative. Et si nos hôpitaux ont risqué ou risquent la saturation, c’est parce que les politiques, depuis des années, ont désinvesti dans le secteur de la santé. Ok. Mais que fait-on face à la vitesse de propagation du virus ? Silence…

Pas la moindre démonstration

Au bout du compte, si le documentaire ne verse pas dans les thèses complotistes comme Hold-Up, il ne démontre rien non plus. Et certainement pas que “le coronavirus ne serait qu’un écran de fumée qui masque une crise beaucoup plus systémique à laquelle nos gouvernements nous préparent sous couvert d’une crise sanitaire” comme c’est dit. Il tient plus de l’humeur que d’autre chose.

Vous êtes hors-ligne
Connexion rétablie...