Cancers pédiatriques à Saint-Rogatien : une étude atmosphérique lancée

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Cancers pédiatriques à Saint-Rogatien : une étude atmosphérique lancée

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Nathalie va envoyer un échantillon des cheveux de sa fille à un laboratoire, en parallèle de l'étude ATMO
Nathalie va envoyer un échantillon des cheveux de sa fille à un laboratoire, en parallèle de l'étude ATMO
© Radio France - Julie Pietri

Comment expliquer les cas de cancers pédiatriques à Saint-Rogatien, près de La Rochelle, en Charente-Maritime ? Une étude atmosphérique, commandée par la communauté d'agglomération de La Rochelle, est menée cet été pour mesurer l'impact des activités industrielles environnantes. Les familles sont dans l'attente.

"Voilà la Société Rochelaise d'Enrobés, elle est vraiment toute proche des habitations". Au volant de sa voiture, Fabienne Pierre ralentit à hauteur de l'usine, qui fabrique du bitume. Située sur la commune de Périgny, elle est implantée à quelques centaines de mètres des premières maisons de Saint-Rogatien. "Ma maison est juste là", pointe-t-elle du doigt. Son ancienne maison, plutôt. Parce que Fabienne Pierre a décidé de déménager avec sa famille.

Les familles s'interrogent également sur une usine de compostage voisine
Les familles s'interrogent également sur une usine de compostage voisine
© Radio France - Julie Pietri

"De puissantes odeurs d'hydrocarbures"

C’est en 2018, quand Fabienne Pierre réalise que trois amis de ses enfants sont malades d’un cancer, qu’elle commence à s’interroger sur les usines voisines qui dégagent de fortes odeurs : la Société Rochelaise d’Enrobés, qui fabrique donc du bitume, et une plateforme de compostage. "Je sais que l’odeur n’est pas forcément un signe de danger, mais nous avons des doutes", dit -elle, quand elle décrit certaines journées comme une succession de nuisances : "Le matin, on peut sentir de puissantes odeurs d’hydrocarbures, souvent au moment où l’on emmène nos enfants à l’école. Nous sommes obligés de fermer les fenêtres de la maison quand cela arrive : c’est vraiment suffocant".  

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"En journée, poursuit-elle, il est aussi fréquent, pour les riverains de champs, d’être victimes d’épandages. On voit les engins agricoles arriver, déployer leurs bras et arroser. J’ai demandé plusieurs fois à mes enfants de courir se mettre à l’abri". Il y a également les odeurs fréquentes en provenance de l’unité de compostage voisine : "Nous sommes vraiment inquiets". Elle a d’ailleurs mis en place avec son association Avenir Santé Environnement une plateforme sur laquelle les habitants peuvent signaler les nuisances au jour le jour. 

Plusieurs membres de l'association Avenir Santé Environnement dont Fabienne Pierre (à gauche) et Nathalie Brion, mère de Pauline (à droite)
Plusieurs membres de l'association Avenir Santé Environnement dont Fabienne Pierre (à gauche) et Nathalie Brion, mère de Pauline (à droite)
© Radio France - Julie Pietri

"Un excès de risque"

Entre 2008 et 2016, à Saint-Rogatien, commune de près de 2000 habitants, cinq jeunes ont développé des cancers. Trois sur la commune voisine de Périgny. En 2019, une étude de l’Inserm financée  par  la Ligue contre le cancer 17 concluait "qu’un excès de risque ne pouvait être écarté pour les 0-24 ans". Les familles se questionnent sur un possible "effet cocktail"

"La difficulté, c’est de savoir s’il y a un rapport de cause à effet, ajoute Fabienne Pierre. 

"Pour nous, ce n’est pas un hasard. C’est beaucoup plus facile de dire que 'c’est pas de chance'... c’est ce qu’on a entendu d’ailleurs. Mais nous, on n’y croit pas. Et on ne lâchera rien"

À côté d’elle, Nathalie Brion espère beaucoup de cette étude atmosphérique, lancée en juin par la Communauté d’agglomération de La Rochelle et financée d’ailleurs en partie par la Société Rochelaise d’Enrobés. Sa fille, Pauline, est morte en décembre dernier après avoir combattu deux cancers, une leucémie et un lymphome. Elle avait 15 ans : "Pauline a été courageuse. Elle ne se plaignait jamais. Sur les vingt mois de traitement, elle a passé seulement cinq mois à la maison". Le reste du temps elle était prise en charge à l’hôpital à Nantes ou à Poitiers :"Tout ce que ces enfants subissent comme traitement, c’est impensable, vraiment. Ce qui motive les gens à se battre ici, c’est de voir ce que les enfants traversent"

La Société Rochelaise d'Enrobés, l'un des sites visés par l'étude atmosphérique
La Société Rochelaise d'Enrobés, l'un des sites visés par l'étude atmosphérique
© Radio France - Julie Pietri

Des mèches de cheveux envoyés aux laboratoires

Dans une vidéo, postée sur Youtube, elle a listé les interminables interventions, examens, opérations de Pauline.  Avec cette étude, menée par Atmo Nouvelle Aquitaine, elle espère obtenir enfin des réponses sur l’impact des usines alentours. "Je veux la vérité. On a une très bonne hygiène de vie, nous vivons à la campagne, dans une belle commune, on pense bien vivre : je veux comprendre pourquoi nos enfants tombent malades et pourquoi ma fille n’est plus là. Je veux que ça s’arrête". Elle sort alors un petit tube qui contient des cheveux de sa fille. Une partie prélevée à sa naissance. Une autre quand elle était sous chimiothérapie. Car cet été, à Saint-Rogatien et alentours, les familles récupèrent des mèches de leurs petits, malades, pour les envoyer, en parallèle de l’étude, à un laboratoire indépendant. 

"Est-ce que les activités autour du secteur ont une incidence directe sur les maladies rencontrées localement ? Il y a suffisamment de cas pour que l’on se pose la question", estime Yann Guyomarch, Directeur général des services délégués de l’agglomération de La Rochelle. "On ne peut pas se contenter de dire que, selon les sources médicales, il n’y a pas un nombre de cas suffisant pour dire qu’il y a un effet de causalité évident. En fait, tout l’enjeu n’est pas tant de savoir qui est à l’origine... mais plutôt de comprendre quelle est l’origine pour trouver des solutions et prendre des mesures correctrices pour que ça s’arrête". 

"Il ne suffit pas de constater"

Dans le cadre de cette étude, une trentaine de molécules sont recherchées. Les prélèvements seront effectués jusqu’au mois de décembre et les résultats sont attendus pour le mois de mars prochain. Les familles surveillent également de près une autre étude ATMO, cette fois sur les pesticides dans la Plaine d’Aunis, qui, détaille Yann Guyomarch, "met en avant une certaine présence de pesticides ou herbicides en volumes plus importants que prévus". À ce sujet, la communauté d’agglomération est, dit-il, en contact avec la chambre d’agriculture : _"Là encore, il ne suffit pas de constater".  _Cédric Tranquard, président de la FNSEA Nouvelle-Aquitaine affirme se questionner aussi sur ces résultats : "Dans cette étude, il y a parmi les produits retrouvés des désherbants que nous n'utilisons plus depuis des années. Je ne comprends pas". Sur le lien envisagé entre épandage et cancers à Saint-Rogatien, il se dit favorable à toutes les enquêtes nécessaires : "S'il y a un lien de cause à effet, il faut le savoir. Pour les familles, les habitants, et pour ceux qui épandent aussi".

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