Zones sans pesticides près des habitations : la France est-elle vraiment "un des seuls pays européens à instaurer de telles mesures" ?

par Claire CAMBIER
Publié le 9 septembre 2019 à 8h55, mis à jour le 9 septembre 2019 à 10h53

Source : TF1 Info

ENVIRONNEMENT - Le gouvernement français a proposé d'interdire l'utilisation de pesticides à moins de 5 mètres des habitations. Alors qu'associations, responsables et militants écologistes dénoncent une distance dérisoire, le gouvernement, qui doit lancer une consultation sur ce projet à partir du 9 septembre, se félicite d'être "l'un des seuls pays européens à instaurer de telles mesures". On regarde.

Avant même que ne débute la consultation citoyenne sur le projet de réglementation de l'usage des pesticides, ce lundi 9 septembre, les critiques pleuvent. Le gouvernement souhaite établir des zones tampons entre les espaces d'épandage et les habitations : 5 mètres pour les cultures basses, notamment les légumes, et 10 mètres pour les cultures hautes, céréales ou arbres fruitiers. "Insuffisant" ou "anecdotique", regrettent les écologistes, à l'image de France Nature Environnement. Le gouvernement, lui, se félicite : "Avec ce dispositif, la France se dote d’un cadre national pour la protection des riverains et deviendra un des seuls pays européens à instaurer de telles mesures", peut-on lire dans un communiqué commun des ministères des la Transition écologique, de la Santé et de l'Agriculture.

Pesticides : quel périmètre de sécurité pour les habitations ?Source : JT 20h WE

La France est-elle si à la pointe de la prévention des risques vis-à-vis de l'utilisation des produits phytosanitaires ? De nombreux Etats (dont la France) ont déjà imposé des zones tampons mais uniquement à proximité de zones dites vulnérables : écoles, crèches, hôpitaux ou encore maisons de retraite. Ces initiatives répondent à une directive européenne datant de 2009, et qui enjoint les Etats membres à ce que "l’utilisation de pesticides soit restreinte ou interdite" dans les "zones utilisées par le grand public ou par des groupes vulnérables (...), comme les parcs et les jardins publics, les terrains de sports et de loisirs, les terrains scolaires et les terrains de jeux pour enfants, ainsi qu’à proximité immédiate des établissements de soins". Cette protection existe également au Canada ou encore aux Etats-Unis, notamment en Californie, ou à Hawaï.

Cette directive réglemente également les espaces autour des plans d'eau dans les différents pays de l'Union européenne, mais les distances imposées restent à l'initiative des Etats. En France, une distance de 5 à 50 mètres doit être respectée pour éviter la pollution des eaux. Au Danemark, une zone tampon de 10 mètres est obligatoire depuis 2012.

Et l'UE a également imposé l'interdiction des épandages aériens.  La France a transcrit cette nouvelle réglementation dans la loi française en 2014, mais des dérogations restent possibles. Il faut toutefois respecter une zone tampon de 50 mètres avec les habitations.

Une fois que l'on a dit cela, le projet de décret, soumis à consultation à partir de lundi, reste historique, puisque la France est bien le premier Etat européen à légiférer sur les espaces agricoles jouxtant des habitations. Pourtant, on ne peut s'empêcher de nuancer cette avancée, tant les distances choisies ne font pas l'unanimité. Actuellement, les notices d'utilisation de nombreux pesticides stipulent des limites à respecter avec les habitations. Ces zones sans traitement sont spécifiées dans les Autorisations de mise sur le marché (AMM) du produit, une obligation légale. En fonction du produit, des distances de 5 à 20 m doivent déjà être respectées près des zones résidentielles.

De nombreux précédents locaux

Autre nuance à apporter : des zones tampons, plus importantes, ont déjà été imposées en Europe et dans le monde, autour des habitations. Il s'agit toutefois d'initiatives prises à l'échelon locale. On en retrouve en Italie : Adriano Marini, le maire de Malosco, une petite commune du nord-est du pays, a pris un arrêté municipal en 2010 interdisant l'utilisation de pesticides sur une bande de cinq mètres à la frontière des plantations agricoles. Sur les 45 mètres suivant, seul l'épandage manuel est autorisé. Les pesticides classés "toxiques" ou "très toxiques" sont eux complètement bannis. Dans cette région, il s'agit surtout de plantations de pommiers et l'annonce n'a pas réjoui l'ensemble de la communauté : certains agriculteurs ont tenté un recours juridique sans succès.

Dans la municipalité de Malles Venosta (Sud-Tyrol), c'est par l'intermédiaire d'un référendum qu'une distance de 50 mètres sans pesticides autour des habitations a été imposée en 2014, rapporte l'institut de politique environnementale européenne. "En raison de la petite taille des parcelles (en moyenne 2,5 à 3 ha), cela revient de facto à une interdiction totale", détaille-t-il. La municipalité travaille donc main dans la main avec la coopérative des agriculteurs locaux pour les aider dans leur transition vers le bio.

Un réseau de "villes sans pesticides" s'est également créé en Europe. De nombreuses municipalités ont passé le pas en Belgique, en Allemagne, aux Pays Bas, mais aussi en France. Un exemple : à Furesoe, au Danemark, les produits phytosanitaires sont bannis des espaces verts, routes et chemins et les agriculteurs locaux sont partie intégrante de cette initiative.

Au-delà des frontières européennes, l'Australie permet aux institutions locales de prendre de telles décisions. Des distances de 300 mètres sont recommandées, pouvant être réduit à 40 mètres lorsque des dispositifs limitant les dispersions, par exemple des haies, sont érigés.

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La France ouvre donc la voie, au niveau étatique. Comme le montre le graphique ci-dessus, elle reste d'ailleurs encore un des plus gros utilisateurs de pesticides de l'Union européenne, en termes de consommation de produits phytosanitaires. En 2019, elle était le troisième plus gros consommateur de la région.

Nos voisins européens devraient suivre de près l'évolution de cette initiative française, des études sont actuellement en cours dans de nombreux pays, comme au Danemark. Ce dernier est allé plus loin que les études de l'ANSES, et conduit depuis 2015 - et jusqu'en 2021 - des analyses de longue durée sur un périmètre de 250 mètres autour des résidences. 

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Claire CAMBIER

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