CO2 : la Covid-19 surpasse la 2ème guerre mondiale

Le suivi en presque temps réel des émissions mondiales de CO2 révèle l’impact économique de l’épidémie de la Covid-19. Mesuré par ses effets sur les émissions de CO2 liées aux énergies fossiles, il est plus fort… que celui de la seconde guerre mondiale. Entre janvier et fin juin 2020, les émissions mondiales de CO2 ont chuté de 1.551 millions de tonnes, soit 8,8% relativement à 2019. C’est l’un des effets, non voulus, des mesures prises pour tenter d’enrayer la propagation du coronavirus Sars-Cov-2.

La chute des émissions de CO2 liés à l’énergie fossile due aux mesures contre la propagation du Sars-COv-2, qui cause la Covid-19 est d’environ 1,6 milliards de tonnes, supérieure à celle provoquée par la seconde guerre mondiale

Ce suivi résulte d’une initiative de Philippe Ciais (Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Envionnement), mise en œuvre par une équipe internationale à forte participation chinoise, le chercheur Zhu Liu de l’Université Tsinghua de Pékin dirigeant l’opération. Ce travail avait déjà permis d’observer la chute des émissions lors du premier pic de l’épidémie, au printemps dernier.

Un article paru avant-hier dans Nature Communication vient montrer que cette baisse se poursuit au niveau mondial, avec de fortes disparités suivant les pays. Les émissions ont été suivies jusqu’au 30 juin, donc la moitié de l’année 2020 pour cet article.

Au niveau mondial, la chute de 8,8% des émissions de CO2 correspond à près de 1,6 milliards de tonnes.

L’équipe réunie par Zhu Liu et Philippe Ciais a mis au point une méthode qui permet d’approcher les émissions par pays à partir d’indicateurs presque temps réel d’activités (production d’électricité et de ciment, trafic automobile, passagers des vols d’avions et distances parcourues, production industrielle, consommation d’énergies pour le contrôle thermique des bâtiments lié à la météo…) , mis en ligne sous la forme d’un Carbon Monitor que chacun peut consulter sur le web. Et où l’on peut aujourd’hui découvrir les chiffres jusqu’au mois d’août 2020. On peut y lire les évolutions quasi journalières des émissions, marquées par les chutes lors des week-end ou jours fériés. Les chercheurs soulignent que leurs chiffres sont cohérent avec une observation par satellites des émissions d’oxyde d’azote et de la concentration atmosphérique de ce gaz qui provient de la combustion des énergies fossiles.

Les secteurs émetteurs de CO2 étudiés par l’équipe de Zhu Liu. L’électricité est en orange, les transports routiers en violet. L’aviation en jaune montre que près de la moitié des émissions, donc des vols, ont disparu, la chute étant plus prononcée  pour les vols internationaux qui pèsent 70% de la diminution. Le graphique de droite montre l’importance des transports terrestres dans la chute des émissions aux Etats-Unis.

La Chine est déjà repartie

La mise à jour des données d’émissions jusqu’au mois d’août fait apparaitre une reprise mondiale des émissions. La chute n’est plus que de 6,52%.

Toutefois, il faut se garder d’en tirer une leçon générale, car cette évolution est fortement contrastée entre pays. Si l’on se penche sur les évolutions depuis juin  des géants de l’économie mondiale, une nette dichotomie s’observe entre la Chine et les autres. Depuis fin avril, le géant chinois émet plus qu’en 2019, malgré la contraction du commerce mondial et donc de ses exportations. En revanche, tant les USA que l’Union-Européenne sont toujours en dessous de leurs émissions de l’année dernière, comme le montre le graphique ci-dessous :

Le rôle de la Chine

Le détail des émissions chinoises montre que dès la fin du confinement, elles ont retrouvé le niveau de 2019, puis l’ont dépassé, de peu certes, mais dans un contexte de contraction du commerce mondial. Cette contraction a d’abord été compensée par des mesures de soutien à l’économie via l’investissement puis par la reprise de la consommation intérieure. Au total, la baisse des émissions de la Chine se limite du coup à 3,7% sur l’an dernier, moins de la moitié de l’évolution mondiale.

L’Europe fortement touchée

En Europe,  si la chute est générale, elle diffère selon les pays. Beaucoup plus prononcée en Espagne, Grande-Bretagne, France et Italie, elle est là, liée à la sévérité de la crise sanitaire et des décisions de confinement, puis à la période estivale où les tourismes vers l’étranger ont été radicalement diminués. La chute allemande s’explique également par la contraction des exportations. Il faut noter qu’une part de la chute durant l’hiver est due à une météo particulièrement chaude.

En France, la chute de 14,2% des émissions correspond à 21,5 millions de tonnes de CO2.  A la fin du confinement, les émissions avait retrouvé pile poil les niveaux de 2019. Une observation confirmée par les chiffres mis à jour à la fin du mois d’août sur le site Carbon Monitor, qui montrent que, si l’on étend sur les 8 premiers mois de l’année l’analyse, la chute n’est alors plus que de 11,63%, même si son volume augmente à 22,25 millions de tonnes.

Autrement dit, l’activité économique durant les mois d’été a été « presque normale » du moins pour le critère des émissions de CO2 … ce qui ne correspond pas nécessairement à la vie économique réelle des ménages et des entreprises, notamment parce que durant cette période très peu d’énergie est consacrée au contrôle thermique des bâtiments.

Brésil et Inde : les pauvres payent le prix

Ailleurs dans le monde, les émissions des géants brésilien et indien signifient que les effets sociaux de la crise sanitaire sont dévastateurs pour les populations les plus pauvres, celles qui soufrent en premiers de toute crise économique.

Au Brésil, la chute est de 12%, soit 25,9 millions de tonnes. Surtout, les derniers chiffres de Carbon Monitor montrent qu’elle s’accentue (-12,7% à la fin août). Dans ce pays, la politique négationniste du Président Bolsonaro a provoqué déjà plus de 150 000 morts (officiels, le chiffre est sous-estimé) sans pour autant éviter la crise économique.

En Inde, la fin du confinement avait vu une reprise économique et donc des émissions, mais les derniers chiffres montrent que durant l’été, la reprise des mesures pour enrayer l’épidémie qui est responsable de plus de 110 000 morts a de nouveau fait baisser les émissions.

 

Mauvaise nouvelle pour le climat

Ces diminutions d’émissions sont-elles une bonne nouvelle pour le climat ? Pour l’ambition mondiale, réaffirmée lors de la Conférence des Parties de la Convention climat de l’ONU, avec l’Accord de Paris signé en 2015, d’éviter un changement climatique dangereux, fixé à 2°C en 2009, puis 1,5°C en 2015, d’augmentation de la température moyenne de la planète relativement aux niveaux pré-industriel ? Paradoxalement… non.

Les évolutions les plus récentes montrent en effet que, dès que les mesures prises contre la propagation du virus sont stoppées, les émissions repartent à la hausse. Les chercheurs soulignent donc dans leur article que, si les politiques de « relance » post-crise sanitaire, utilisent les mêmes méthodes et les mêmes objectifs que celles post-crise financière de 2008, elles provoqueront le même effet : un rebond massif des émissions. Comme le souligne le Haut Conseil pour le climat dans son rapport 2020 : les plans de relance post-Covid doivent aussi être des plans de transformation de l’économie et de la société pour atteindre les objectifs climatiques de la Stratégie nationale bas-carbone;

Sylvestre Huet