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L’ivermectine, traitement miracle contre le Covid-19 ou mirage thérapeutique ?

L’antiparasitaire fait l’objet d’un regain d’intérêt dans la lutte contre l’épidémie due au SARS-CoV-2. Mais son efficacité reste encore à prouver.

Par  et

Publié le 13 avril 2021 à 16h46, modifié le 14 avril 2021 à 10h10

Temps de Lecture 7 min.

Un flacon d’ivermectine, médicament autorisé par l’Agence des médicaments colombienne pour traiter certains patients atteints du Covid-19, dans le cadre d’une étude menée à Cali (Colombie), le 21 juillet 2020.

Un traitement supposément efficace contre le Covid-19 connu depuis longtemps, peu onéreux, mais rejeté par les autorités sanitaires : non, il ne s’agit pas de l’hydroxychloroquine, mais de l’ivermectine. Ce médicament antiparasitaire est devenu, en quelques mois, la nouvelle obsession de ceux qui défendaient autrefois le protocole du professeur Didier Raoult. Mais que sait-on vraiment de l’ivermectine ? S’agit-il d’un traitement éprouvé face à l’épidémie due au SARS-CoV-2 ou d’un faux espoir ?

  • Qu’est-ce que l’ivermectine ?

L’ivermectine est un médicament généralement prescrit pour lutter contre des maladies, comme la gale. Cet antiparasitaire, à usage d’abord vétérinaire puis humain, a également été utilisé dans la prévention du paludisme, ou dans le traitement contre les poux. Il a été commercialisé à la fin des années 1970 par le laboratoire américain Merck sous le nom Stromectol, et d’autres sociétés le fabriquent depuis les années 1990. Il a permis, en particulier, de traiter l’onchocercose (« cécité des rivières ») en Afrique de l’Ouest, véritable fléau de santé publique.

Pour Alexandra Calmy, médecin adjointe au service des maladies infectieuses des hôpitaux universitaires de Genève (HUG), l’utilisation de l’ivermectine dans le cadre de la recherche de traitements contre le Covid-19 est logique :

« Une activité antivirale de la molécule avait été démontrée contre d’autres virus à ARN (la dengue, le chikungunya), et des chercheurs se sont dit que cela pourrait peut-être inhiber la réplication du SARS-CoV-2 dans des cultures de cellules. Dans l’effort de rapidité qui a été mené depuis le début de la crise pour trouver des molécules efficaces, ce n’est donc pas une surprise qu’on essaie l’ivermectine. »

  • Quels pays ont déjà utilisé ce médicament contre le Covid-19 ?

En Europe, des pays ont récemment accordé une autorisation d’utilisation provisoire de l’ivermectine contre le Covid-19 : la Slovaquie en janvier, la République tchèque au mois de mars. Mais ce médicament est déjà administré à grande échelle depuis le printemps 2020 dans plusieurs pays d’Amérique du sud : Bolivie, Guatemala, Honduras ou certains Etats du Mexique. Le Pérou, lui, l’a finalement retiré de la liste des traitements recommandés le 26 mars.

Malgré l’avertissement des autorités sur son efficacité non avérée, l’ivermectine est devenue très populaire dans certains pays. « Le médicament a été si demandé qu’en mai les agents de santé ont distribué quelque 350 000 doses aux habitants du nord de la Bolivie », expliquait la revue Nature en octobre 2020. En Inde, l’ivermectine est également prisée : si le gouvernement ne la recommande pas à l’échelle nationale, certains Etats indiens l’utilisent tout de même de manière préventive. En Afrique du Sud aussi, le médicament circule largement parmi la population.

  • Qui sont ses défenseurs ?

On retrouve parmi les défenseurs de l’ivermectine des personnalités politiques qui défendaient déjà l’hydroxychloroquine, comme Florian Philippot (Les Patriotes), François Asselineau (UPR), ou encore Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France). Ils ont, par ailleurs, relayé le hashtag #BebraveWHO (soyez courageux à l’OMS), lancé en mars sur Twitter, qui vise à appeler l’Organisation mondiale de la santé à autoriser l’utilisation de ce traitement. Le site France Soir figure aussi parmi les plus ardents défenseurs du médicament, mentionné dans près d’une centaine d’articles.

Des scientifiques et praticiens soutiennent aussi publiquement ce traitement, comme le chirurgien urologue à la retraite Gérard Maudrux, très actif sur les blogs de Mediapart et du Quotidien du médecin, également auteur pour France Soir. Le microbiologiste japonais Satoshi Omura, récompensé par le prix Nobel 2015 pour avoir codécouvert l’ivermectine, a, quant à lui, affirmé, aux côtés d’autres chercheurs, qu’une fois que « l’efficacité de l’ivermectine contre le Covid-19 sera confirmée », les bénéfices du médicament pourraient « s’avérer comparables aux avantages tirés de la découverte de la pénicilline ».

  • Sur quoi s’appuient-ils pour défendre l’ivermectine ?

Une étude australienne publiée en avril 2020 indique que l’ivermectine est un inhibiteur du virus responsable du Covid-19, in vitro (en laboratoire). Selon ses auteurs, le médicament a réduit la charge virale du virus en quarante-huit heures, lors du test opéré en culture cellulaire. Une autre étude, cette fois-ci menée en France dans un Ehpad de Seine-et-Marne, a également fait grand bruit. Alors qu’une épidémie de gale avait sévi au printemps 2020, des patients se sont vu administrer de l’ivermectine. Il a été constaté, en comparaison avec les autres établissements du département, que les résidents ayant reçu l’antiparasitaire avaient été moins touchés par le Covid-19.

« Nous avions un taux d’incidence de 1,4 % contre 22,6 % dans les autres établissements. Et un taux de mortalité nul contre 4,9 % en moyenne dans les maisons de retraite », détaille au Figaro le Dr Charlotte Bernigaud, l’une des autrices de l’étude.

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Le neurobiologiste Jean-Pierre Changeux a publié, en novembre 2020, une étude avec l’Institut Pasteur portant sur « l’efficacité anti-Covid-19 de l’ivermectine chez le hamster doré ». Selon lui, « même si l’ivermectine n’a eu aucun effet sur la charge virale, la pathologie associée au SARS-CoV-2 a été fortement atténuée ». Ce qui lui permet de conclure que « nos données soutiennent l’ivermectine en tant que candidat-médicament anti-Covid-19 prometteur ».

On peut également citer une étude menée aux Etats-Unis sur des patients hospitalisés pour cause de Covid-19, en Floride, au printemps 2020, qui montre que le traitement avec ivermectine est associé à une mortalité plus faible, mais souligne que des « essais randomisés sont nécessaires pour confirmer ces résultats ».

  • Ces études prouvent-elles l’efficacité de l’ivermectine ?

Elles sont peu concluantes. Selon la revue Prescrire qui a consulté plusieurs essais cliniques, il n’y a « pas de preuve solide d’efficacité ». Un constat partagé par l’Inserm, pour qui les études préliminaires menées sur la molécule sont « insuffisantes ». La société française de pharmacologie et de thérapeutique (SFPT) affirme, à son tour, qu’« à l’heure actuelle, aucune donnée ne permet de recommander l’utilisation de l’ivermectine pour prévenir ou traiter une infection au SARS-CoV-2. »

L’épidémiologiste Dominique Costagliola a également déploré le « peu d’essais publiés ». Selon elle, « la plupart (…) ont des risques de biais majeur, donc on ne peut rien en conclure ». Elle s’appuie sur un essai clinique randomisé publié le 4 mars dans le Journal of the American Medical Association (JAMA) et mené sur près de cinq cents patients en Colombie, qui conclut à une inefficacité de l’ivermectine. De manière générale, plusieurs problèmes sont relevés :

– Les études citées par les défenseurs de l’ivermectine sont, pour une grande majorité, des preprints, des prépublications qui doivent être soumises à une expertise scientifique.

– Les essais cliniques reposent sur une méthodologie peu solide : échantillons de patients trop faibles, groupes non comparables, peu d’études randomisées, absence de critères objectifs et mesurés, etc. « On trouve des études observationnelles avec tous les biais que ces études impliquent, mais aussi plein d’études de petite puissance. Très peu d’études randomisées sont bien faites. Je n’ai pas vu d’étude randomisée qui prouve un effet antiviral chez l’homme », souligne le pharmacologue Mathieu Molimard, membre de la SFPT.

L’infectiologue Alexandra Calmy abonde :

« On a parfois des bons essais, mais ils comportent souvent des méthodologies, des doses et des schémas thérapeutiques variables qui rendent difficiles les comparaisons. Parfois même, certaines études ne décrivent pas la sévérité de la maladie. Cela devient compliqué de colliger toutes ces données pour en tirer des recommandations robustes. »

– Les doses d’ivermectine employées dans certains essais sont parfois beaucoup plus élevées que celles autorisées chez l’homme. Le service de pharmacologie des hôpitaux universitaires de Genève indique que l’ivermectine pourrait « avoir des propriétés antivirales in vitro, mais à des doses cent fois plus élevées que les doses habituellement utilisées dans les maladies parasitaires ».

– Les cellules utilisées dans certains tests in vitro ne seraient pas non plus pertinentes. Par exemple, dans l’étude australienne de juin 2020, le modèle cellulaire employé présente des différences avec les cellules humaines impliquées dans la réponse antivirale à l’état physiologique chez l’homme, ce qui ne permet pas de prédire son efficacité en conditions réelles.

  • Que disent les autorités sanitaires ?

Plusieurs d’entre elles ont recommandé de ne pas utiliser l’ivermectine contre le Covid-19. Dans un communiqué, le 31 mars, l’OMS affirme que « les preuves actuelles sur l’utilisation de l’ivermectine pour traiter les patients atteints du Covid-19 ne sont pas concluantes ». En l’absence d’éléments probants, et « jusqu’à ce que davantage de données soient disponibles », elle recommande que « le médicament ne soit utilisé que dans le cadre d’essais cliniques ».

L’organisation emboîte ainsi le pas de l’Agence européenne des médicaments (AEM), qui déconseillait, dix jours auparavant, « l’utilisation de l’ivermectine pour la prévention ou le traitement du Covid-19 en dehors des essais cliniques randomisés ».

En France non plus, l’usage de l’ivermectine n’est pas recommandé. Le 1er avril, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a refusé d’accorder une autorisation temporaire d’utilisation, en s’appuyant sur un avis formulé le 27 janvier par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP). Dans sa décision, l’ANSM déclare :

« L’analyse des données publiées (…) du fait de leurs limites méthodologiques ne permet pas d’étayer un bénéfice clinique de l’ivermectine quel que soit son contexte d’utilisation, en traitement curatif ou en prévention de la maladie Covid-19. »

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