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«Climat» ou «météo»: quand l'Organisation météorologique mondiale (ab)use de l'amalgame

L’agence de l’ONU lance en vidéo une série de «bulletins météo de l’année 2050», exercice discutable car forcément imprécis, à l’heure où les sciences du climat s’affirment. L’avis du climatologue Martin Beniston

Un été pourri, et c’est la preuve que le réchauffement, c’est du vent. Un hiver sans neige? Et voilà assurément les signes que les changements climatiques sont déjà bel et bien en cours. Ce sur quoi, à chaque conclusion de ce type, les climatologues ne cessent de souligner que «climat» n’est pas égal à «météorologie», tant le premier se définit sur le temps long et non par des événements environnementaux uniques, aussi catastrophiques soient-ils, tandis que la seconde détermine le temps qu’il fera dans les jours à suivre, au mieux à 72 heures, avec un fort degré de certitude.

Il est dès lors surprenant de voir l’Organisation météorologique mondiale (OMM) lancer sur Internet une série de vidéos présentant des «bulletins météo de l’année 2050», fruits de l’imagination de présentateurs météo du monde entier invités à se plier à l’exercice. Des bulletins, précise l’OMM, qui «sont des scénarios et non de véritables précisions. Néanmoins, ils sont fondés sur des éléments scientifiques les plus récents et brossent un tableau très convaincant de ce que notre quotidien pourrait être si la température était plus élevée à l’échelle du globe.» L’avis de Martin Beniston, professeur de climatologie à l’Université de Genève.

Le Temps: Cette façon de présenter les choses ne renforce-t-elle pas l’amalgame souvent fait dans le public entre «climat» et «météorologie»?

Martin Beniston : Cela ne me choque pas. En prévision de la grande Conférence COP21 qui se déroulera à Paris à la fin dès le 30 novembre, l’OMM veut faire parler des enjeux sur le climat. Là, dans ces clips de quelques minutes, l’on voit d’abord le traitement d’un sujet d’ordre climatique (une vague de chaleur en Argentine, par exemple), avant que le présentateur ne donne les prévisions météorologiques pour quelques jours. Certes, si l’on écoute d’une oreille – comme on peut le faire en regardant la télévision le soir –, on peut croire que tous ces événements sont du même ordre. Mais je pense que les gens qui prêtent un tant soit peu attention voient la différence de temporalité.

– Cautionnez-vous donc cette manière de communiquer, tout de même peu claire, sur une thématique mise en cause ces dernières années?

– À nouveau, dans les vidéos que j’ai vues, les différents événements, climatiques ou météorologiques, sont présentés de manière séparée. Si tel n’avait pas été le cas, j’aurais été plus critique. Cette concomitance, si elle était vraiment appliquée dans les journaux TV, pourrait être un mal nécessaire, tant elle permettrait d’évoquer des sujets cruciaux pour l’avenir de l’humanité, liés au réchauffement, à l’heure de la plus grande écoute médiatique, celle du bulletin météo. De quoi toucher un maximum de personnes. Bien sûr, dans les conférences scientifiques, on évoque toujours ces deux sujets séparément. Même si l’on sait de mieux en mieux que les événements météorologiques extrêmes s’insèrent dans une logique climatique à long terme.

– Est-ce à dire que les sujets sur les changements climatiques sont plus difficiles à rendre intéressants, au point qu’il faille exagérer le trait ou tirer profit d’autres hameçons médiatiques?

– Il peut effectivement y avoir un phénomène de lassitude qui s’est installé dans le public. D’autant que celui peut penser que l’issue de la COP21 sera la même que celle de la Conférence de Copenhague en 2009, à savoir largement en dessous des attentes. Cet attentisme (ou fatalisme?) est peut-être aussi une chance: s’il y a une surprise positive à Paris, l’on va beaucoup reparler de climat. De plus, on va pouvoir aussi évoquer des opportunités qu’offre la protection du climat en termes de nouvelles technologies, de nouveaux marchés, de nouveaux emplois.