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Sait-on pourquoi plusieurs abattoirs sont des «clusters» de Covid-19 ?

Déconfinementdossier
Plusieurs groupements de cas de Covid-19 ont été signalés parmi les salariés d’abattoirs de divers pays, dont la France. Plusieurs pistes sont envisageables pour expliquer le phénomène.
par Florian Gouthière
publié le 18 mai 2020 à 18h42

Bonjour,

Le 10 mai, l'Agence régionale de santé (ARS) Pays-de-la-Loire a annoncé que 20 salariés d'une usine d'abattage de volaille en Vendée avaient été testés positifs au Covid-19. Ce week-end, c'était au tour des ARS Bretagne et Centre-Val-de-Loire de signaler respectivement 69 cas dans un abattoir des Côtes-d'Armor et 34 cas dans un site du Loiret.

Trois des vingt-six nouveaux «clusters» de coronavirus en France depuis le déconfinement seraient donc des abattoirs. Notre pays n'est toutefois pas le seul pays où le phénomène se produit. Ainsi, 109 cas ont été recensés dans un abattoir du Länder du Schleswig-Holstein en Allemagne. Au Canada, plusieurs alertes ont été données, notamment au Québec et en Alberta.

Aux Etats-Unis, l'intersyndicale AFL-CIO a fait état de 10 000 cas d'infection sur plus d'une centaine de sites. En date du 8 mai, on y dénombrait déjà 30 décès parmi des employés d'abattoirs. En outre, quatre contrôleurs sanitaires d'abattoirs sont décédés des suites de la maladie, dans les Etats de New York, de l'Illinois, du Mississippi et du Kansas.

La poursuite d’activité en période épidémique suffit-elle à expliquer le phénomène ?

Les abattoirs font partie des sites où l'activité professionnelle ne s'est pas interrompue durant l'épidémie, y compris dans les pays qui ont ordonné un confinement. De façon notable, le 28 mars, le président Donald Trump a signé un décret imposant aux lieux d'abattage et de transformation de viande de rester ouverts durant la crise.

Dans ces usines, les employés sont toujours aussi nombreux. Il en va de même pour leurs interactions sociales dans les espaces communs, comme les vestiaires parfois exigus. Aussi, le risque de contamination interpersonnel apparaît élevé, quand bien même des normes d'hygiène strictes seraient imposées dans les zones où les animaux sont tués puis équarris.

Il est à noter que, contrairement aux gants et aux charlottes, le masque ne fait pas habituellement partie de l'équipement standard des travailleurs des abattoirs. Toutefois, depuis le début de la crise, un certain nombre d'établissements français auraient renforcé leurs procédures : port du masque, établissement de «distances barrières» sur les lignes de production, ou encore utilisation de vitres de séparation lorsque les travailleurs se font face. Des préconisations similaires ont été formulées ces derniers jours par les centres de contrôle des épidémies aux Etats-Unis.

La survenue du cas dans les abattoirs pourrait donc être, tout ou partie, symptomatique du risque d’infection dans des sites du secteur secondaire peu automatisés (qui nécessitent une importante main-d’œuvre) et dont l’activité se poursuit en période de crise. Cette hypothèse est notamment celle avancée par le directeur de l’ARS Centre-Val-de-Loire, Laurent Habert, suite à la présentation des cas dans le Loiret. Reste toutefois à savoir si d’autres professions correspondant à ces critères sont aussi touchées que celles impliquées dans les processus d’abattage.

Suite à l'annonce des cas allemands, les représentants du syndicat NGG ont également estimé que la précarité des employés concernés pouvait jouer dans le fort taux de contamination, en raison de leurs conditions de vie en dehors des sites de production : «la propagation généralisée des infections dans cette industrie [en Allemagne] n'est pas surprenante». «Les travailleurs, dont la plupart viennent d'Europe de l'Est et travaillent dans le cadre de contrats avec des sous-traitants parfois douteux, doivent souvent vivre dans des logements de masse dans des conditions très exiguës», peut-on lire dans un communiqué.

Autre facteur social avancé : une mauvaise protection sociale inciterait également le personnel malade à se maintenir au travail en dépit des risques.

Quid de l’hypothèse d’une contamination virale par voie aérosol ?

Dans la plupart des environnements de travail, le risque d’une infection par des particules virales en suspension dans l’air est jugé négligeable. En effet, la contamination n’est possible que si le virus est présent en quantité suffisante : on parle de «dose infectante». A l’hôpital, ce risque n’est toutefois pas écarté dans les services de soins intensifs, ou dans les espaces confinés où le personnel soignant change de vêtements.

Ces dernières années, plusieurs recherches ont été menées sur les risques de contamination par divers pathogènes (bactéries, champignons…) dispersés par voie aérosol dans les abattoirs. Ces études ont vu le jour suite à une préoccupation croissante concernant les maladies pouvant toucher à la fois les animaux d'élevage et l'homme. Quelques travaux ont suggéré que des virus pouvaient être dispersés au cours des opérations de découpe ou de manipulation de la viande et des carcasses. Néanmoins, dans l'état actuel des connaissances, les animaux d'élevage ne semblent pas pouvoir être infectés par le Sars-COV-2. Aussi, cette piste n'est pas privilégiée. Aucun cas d'infection d'aliments par le virus n'a encore été rapporté.

Interrogés ces derniers jours dans la presse, plusieurs médecins ont noté que le recours au nettoyage à haute pression tend à remettre en suspension de nombreuses particules tombées au sol. Si le risque de production de bioaérosols bactériens par les Kärcher lors du nettoyage de certains sites particulièrement contaminés (les égouts, par exemple) est bien établi, celui-ci n'est pas établi pour un virus comme le Sars-COV-2 sur des sites d'abattage.

En résumé

A l’heure actuelle, une conjonction de facteurs sociaux, économiques, démographiques et liés à l’organisation du travail en abattoirs semble jouer un rôle important dans l’émergence de ces «clusters» d’infection. A cette heure, les processus spécifiques à la découpe et à la manipulation de la viande ne semblent pas mis en cause.

Cordialement

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