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En Russie, le "tragique accident" de médecins "tombés par la fenêtre"
Des soignants s'équipent dans une clinique moscovite.

En Russie, le "tragique accident" de médecins "tombés par la fenêtre"

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Frappé de plein fouet par la pandémie, dans un système de santé sous–équipé, où toute critique des conditions de travail est assimilée à une diffusion de fausses nouvelles, passible de poursuites, le personnel médical russe déplore ses premières victimes et s'inquiète pour son avenir.

Alors que le premier médecin russe décédé du coronavirus a été officiellement reconnu le 21 avril –l’urologue Maxime Starinsky, 56 ans, mort à l’hôpital moscovite de la Kommunarka, après avoir contracté le virus dans l’hôpital n.3 pour vétérans de l’armée - trois médecins se sont récemment défênestrés en Russie, apparemment sous la pression des autorités.

Deux femmes médecins ont succombé à leur chute : la première, le Dr Natalia Lebedeva, chef des urgences à la Cité des étoiles, la principale base d’entrainement des cosmonautes russes, traitée à Moscou pour une suspicion de coronavirus, est morte le 24 avril des suites de sa chute. On ignore la raison de ce décès, décrit officiellement comme un « tragique accident ». La seconde, le Dr Elena Nepomnyashchaya, de Krasnoïarsk, en Sibérie, est décédée le 1er mai après une semaine en soins intensifs, après être « tombée par la fenêtre » durant une réunion avec des responsables régionaux de la santé. Ceux-ci, selon la presse locale, voulaient lui imposer de transformer sa clinique en centre pour le coronavirus, ce qu’elle refusait, en raison du manque d'équipement de protection. Le troisième, Alexander Choulepov, médecin ambulancier de 37 ans de Voronej (à 500 km au sud de Moscou) s'était plaint dans une vidéo diffusée sur Vkontakte, le FB russe, d'être contraint de travailler bien que porteur du virus. Interrogé par la police pour « diffusion de fausses nouvelles », il a enregistré une seconde vidéo pour se rétracter, expliquant avoir diffusé la première « sous le coup de l’émotion ». A ses côtés, le directeur de l'hôpital où il était soigné, affirmait que l'établissement ne manquait de rien. Le lendemain, il sautait par la fenêtre du second étage de l’hôpital, et se trouve entre la vie et la mort.

Plaintes des soignants

Les réseaux russes relayent les nombreuses plaintes des soignants, qui se plaignent de devoir travailler sans protection digne de ce nom. De Brest à Vladivostok, mais aussi à Moscou et St Petersbourg, où sont concentrés le plus grand nombre de cas, médecins, infirmières ou ambulanciers rapportent les mêmes faits : l’impréparation et le sous-équipement, une hiérarchie souvent sourde à leurs réclamation, de peur de déplaire en haut lieu, coiffée par un régime de plus en plus répressif. Le Dr Anastasia Vassilievna, membre du syndicat indépendant de l’Alliance des médecins, en a fait les frais la première. L'activiste a été interpellée début avril par la police pour avoir voulu livrer –pourtant tout à fait légalement- du matériel de protection à un hôpital de Novgorod. Après une nuit mouvementée au poste, où elle a été physiquement bousculée, elle a finalement écopé d’une amende pour non respect du confinement, auquel elle n'est pourtant pas soumise, en tant que médecin...

Depuis lors, alors que l’épidémie s’étend en Russie, qui connaît la progression la plus rapide du virus en Europe, la situation du personnel médical a tragiquement empirée. Alors que les autorités sanitaires du pays affichent 150.000 cas et 1.451 décès, des chiffres qui paraissent très sous-estimés, les réseaux sociaux relayent les inquiétudes des ambulanciers, dont les rangs seraient décimés par le virus après avoir passé des heures au début de l’épidémie avec leurs malades dans d'interminables files d'attente devant les hôpitaux. Plus récemment, ce sont les étudiants en médecine qui sont réquisitionnés pour travailler avec les malades du Covid-19, et s’en émeuvent, faute de protection suffisante..

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne