Adieu Christophe, mon ami « beau bizarre »

Le chanteur Christophe s’est éteint à Brest, jeudi soir. Il avait 74 ans.

Le chanteur Christophe s’est éteint à Brest, jeudi soir. Il avait 74 ans. JOEL SAGET / AFP

Le chanteur Christophe s’est éteint jeudi 16 avril dans la soirée. Il avait été hospitalisé le 26 mars à Paris, avant d’être transféré en Bretagne. L’hommage de François Armanet, journaliste à « l’Obs » et ami de longue date.

Il vivait la nuit. Il souffrait d’un emphysème depuis longtemps. Jeudi 26 mars, quand il s’est réveillé dans l’après-midi, il avait du mal à respirer. Les pompiers l’ont emmené à Cochin. Puis il a été transféré à Brest où il s’est éteint jeudi 16 avril au soir, sa fille Lucie à ses côtés. Le chanteur des « Paradis perdus » avait 74 ans. C’était un ami de plus de trente ans.

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Johnny, quand il le croisait, lui disait « Salut Jimmy » en souvenir de son look à la James Dean. Eddy a fait un beau duo avec lui sur son dernier album. Christophe appartient à ce cercle des monstres yéyé, biberonnés à Elvis, Chuck et Gene. Populaire depuis un demi-siècle tout en étant révéré par la relève du rock français, beau bizarre sur la ligne blanche, rebelle à la classification, il mariait romances au long cours et expérimentations chaotiques, avant-garde et hit-parade.

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Il a 20 ans, en 1965, il aurait pu être enfermé dans un succès fou, « Aline », slow yéyé (3,5 millions d’exemplaires vendus à ce jour), alors qu’il l’a toujours pensé comme un blues. Des « Marionnettes » aux « Mots bleus », il aligne les tubes, initiant au passage son parolier Jean-Michel Jarre aux premiers synthés. En 1974, au sommet, il donne un concert d’adieu à l’Olympia, livre encore quelques albums et s’éclipse. Il faudra attendre presque vingt ans, pour qu’il revienne en 1996 avec « Bevilacqua » ; le fils d’immigré italien affiche son nom de famille, et, pour la première fois, écrit aussi les paroles. Entre-temps, il vit la dolce vita, navigue au soleil sur un pointu. Il était chez lui aux Saintes-Maries-de-la-Mer, il avait passé trois mois dans le cirque d’Arlette Gruss, Bashung l’appelait « le gitan blond ».

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Des retrouvailles de deux solitaires

En 2002, pour « l’Obs », j’avais organisé des retrouvailles entre Alain et lui, ces deux solitaires ne s’étaient pas tant fréquentés. Il faut imaginer deux grands timides, pas du genre à s’épancher.

Un aveu de Christophe : « La première chanson de toi que j’ai écoutée cent fois dans ma vie avec la chair de poule, c’est Alcaline ».
Un silence de Bashung : « Curieux. Je l’ai écrit en pensant à toi. Dans Alcaline, il y a Aline. C’était pour te dire je t’aime, de loin. »
- C’est fou.
- Mais si.
« Tu ne m’as encore rien dit / T’aimes plus les mots roses / Que je t’écris ? », c’était une réponse à tes mots bleus.
- Avant ta version des « Mots bleus » alors ? Elle, je l’ai découverte une nuit, en Haute-Provence, chez un ami, dans sa salle de projection. J’ai attendu que tout le monde soit couché, j’ai regardé « Lolita » de Kubrick avant de l’écouter. Et ce fut l’inexplicable magie de la différence ».

Pour Christophe, cinéphile redoutable (Kazan, Visconti, Lynch...), chaque chanson était un court-métrage. Il cherchait une mélodie pour se faire son film. Tout à coup, il trouvait l’éclairage, le titre. Commençait alors la quête du son idéal. Fait maison. La musique avant les paroles, trois notes de piano, deux accords de guitare, une réverbération de Memory Moog, une boîte à rythme, des ambiances, des accidents, des résonances, des toiles sonores. Puis les maquettes avant de chanter en « yopp », disait-il pour « yaourt », ces onomatopées en « franglish » sur un thème, qui précédaient les textes. Et encore des bidouillages, les nuances, et la touche finale, qui pouvait remettre en question la sortie du disque, à la consternation de ses maisons de disque. Christophe était un coloriste du son, un couturier d’atmosphères :

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« Je travaille comme sur une robe : un moment on coud l’ourlet, à un autre les boutons. Je place le chant au dernier moment. Il y a des heures où je trouve ma voix. La fatigue résonne. La voix voilée du soir ou rauque à 4 heures du matin en fin de poker ».

Cette voix efféminée reconnaissable entre toutes qu’il posait sur ce cocktail de blues, rockabilly, explorations électro soul dans son « home studio ». Un appartement, un monde : ses synthés, un piano à queue, une table de jeu, un juke-box empli de labels obscurs en 78-tours (J.B. Lenoir, Son House…), un autre pour le jazz (Parker, Armstrong, Holiday…) dessiné par Raymond Loewy, une guitare électrique Gretsch 55 (la même que Cochran, orange avec le « G » brûlé en fer à cheval, le cactus sur le manche nacré), une Gibson SG 1962 signée Les Paul, des photos (Chet Baker, Louise Brooks, Michel Simon, sa fille Lucie…), des peintures (un nu offert par son ami Daniel Filipacchi, un club de jazz à Harlem..), des pin-up de camionneur, une vierge en bronze, escarpins en plexiglas, radios en bakélite échangés avec son vieil ami Pierre Lescure, mascottes automobiles à têtes d’Indien…

Il avait l’œil du collectionneur, et aimait les bolides. Il avait cassé un nombre inimaginable de Ferrari. J’avais écrit avec lui en quelques nuits au Studio Ferber, « Enzo », en hommage au Commendatore de Modène.

« Erreur, camarade, c’est une Maserati »

Un souvenir : un dîner à la maison avec Christophe et Sagan, même passion du jeu et des voitures, elle était venue en R5 et lui en taxi, on lui avait retiré son permis depuis longtemps. Ce soir-là, elle nous avait raconté sa visite en mai 68 dans le théâtre de l’Odéon occupé, interpellée par un chevelu muni d’un mégaphone :
- Est-ce que tu es venue avec ta Ferrari camarade Sagan ?
- Erreur, camarade, c’est une Maserati.

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Le petit prince en rose et noir était un grand seigneur. En juin dernier, à l’occasion du prix littéraire du Vaudeville, place de La Bourse, il jouait gracieusement, pour l’amitié, indifférent au brouhaha d’une assemblée de journalistes et d’éditeurs bavards, seul au clavier. 45 minutes en suspension, interprétant au débotté « Tangerine » (en duo avec Alan Vega sur l’album) à la prière d’un spectateur. Christophe inventait sur scène, transfigurant les succès d’antan, chamboulant les V.O. des derniers albums où défilaient muses underground et femmes fatales, Isabelle Adjani, Chrysta Bell, Laetitia Casta, Anna Mouglalis.

Dans l’immeuble art-déco du boulevard Montparnasse, tel la vigie d’un paquebot endormi, lunettes bleu nuit, moustache d’Aramis, bottines de dandy à talon rouge, susceptibilité nerveuse, mains délicates, l’ombre de Christophe veille encore la console allumée.

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